Le confucianisme prônant le culte des ancêtres amena la vénération et, pour les inclure dans la religion, la déification de tous ceux qui, par leurs découvertes, étaient à l’origine d’un nouveau métier. Dans toutes les professions, on honorait celui ou celle qui était considéré comme l’ancêtre de la profession. On lui consacrait souvent un temple, et sa fête était l’occasion de réunir tous les membres de la guilde. Le dieu des menuisiers était Lu Ban, qui aurait vécu au début du Ve siècle avant JC, qui aurait crée la plupart des instruments de menuiserie et aurait su fabriquer des automates, dont un oiseau capable de voler. Alors qu’il grimpait sur une pente, il se coupa le doigt en s’accrochant à des herbes ; étonné qu’une herbe puisse entamer la peau, il l’examina et remarqua que le bord n’en était pas lisse mais dentelé, ce qui lui donna l’idée de la scie. Il était aussi le dieu des maçons car c’est lui qui aurait construit le pont de Zhaozhou.
Celui des cultivateurs et des marchands de thé était Lu Yu, qui vécut sous la dynastie des Tang. Abandonné de ses parents, il fut élevé par des bonzes et c’est sans doute d’eux qu’il apprit les vertus de ce breuvage, car, à l’imitation des bonzes de l’Inde, ceux-ci buvaient du thé pour garder l’esprit clair au cours de leur méditations. Après avoir parcouru la Chine pour étudier les différentes sortes de thés, il se retira dans la province du Zhejiang pour y écrire son « Classique du thé » (cha jing), où il expliqua ses propriétés, ses différentes qualités, ses lieux de production, ses variétés, les façons de le préparer et de le boire. Les marchands de thé avaient souvent une statue de lui dans leur boutique, traditionnellement en porcelaine. Le thé prit une importance particulière car il faisait partie des cadeaux de la famille du fiancé à celle de la fiancée, si bien que décider un mariage s’appelait « accepter le thé » ou « la cérémonie du thé » et qu’un personnage du roman « Rêves au pavillon rouge » dit à une jeune fille : « Tu as bu le thé dans notre foyer, comment ne serais-tu pas la belle-fille de notre famille ! ». Un disciple demandait à un maître de l’accepter en lui présentant une tasse de thé, et celui-ci signifiait son acceptation en la lui prenant des mains.
Le dieu des fabricants de vin et d’alcool était Du Kang, qui était en fait Shao Kang, celui qui rétablit le pouvoir de la dynastie Xia après l’usurpation de Han Zhuo et régna de 2079 à 2057 avant JC ; c’était un des personnages à qui on attribuait la découverte de la fermentation.
Les potiers ne vénéraient pas un seul dieu, mais sept. Dans leurs temples, les trois principaux était l’empereur mythique Shun, inventeur de la poterie, Lao Zi, qui fabriquait du cinabre dans un chaudron et protégeait la cuisson, et le dieu du Tonnerre (Lei Gong), qui devait assurer du beau temps pour que le bois soit bien sec. Les quatre dieux secondaires étaient celui des Montagnes (shan shen), celui du Sol (Tudi gong), la terre étant la matière première essentielle, le dieu des Chevaux (ma shen) et celui des Buffles (niu shen), à cause de l’importance des transports pour obtenir les matériaux et vendre la production. En fait cette trinité flanquée de quatre dieux a dû être crée sur le modèle des trois bouddhas du Passé, du Présent et du Futur, assistés des quatre dieux-gardiens des orients. Les charbonniers vénéraient eux trois dieux, celui du Sol, celui des Montagnes et celui de la Poterie, considérés par eux comme un seul personnage.
Le dieu des constructions hydrauliques et des eaux était Erlang Shen, mais cette appellation est ambiguë, car elle signifie simplement « le deuxième fils ». Il s’agit ici de Li Bing, gouverneur de la province du Sichuan sous le roi Zhao du royaume de Qin dans l’antiquité, qui divisa le cours supérieur d’un affluent du Yangtse en plusieurs bras et permit d’irriguer la plaine de Chengdu et d’y éviter les inondations. Il combattit le dragon de cette rivière en se transformant comme lui en buffle ; mais ne parvenant pas à le vaincre, il recourut à l’aide de son assistant ; il se mit une ceinture blanche et dit qu’il se tiendrait du côté sud, ce qui permit à l’assistant de le reconnaître et de trancher la tête du dragon. On identifie parfois Erlang shen à son fils qui continua son œuvre. On dit aussi que Erlang shen, avec la même fonction, était Zhao Yu, qui avait cultivé le Tao sur le mont de la Ville Pure (Qingchen shan) au Sichuan et qui, gouverneur d’une région où sévissait un dragon terrible, se fit accompagner d’un millier d’hommes faisant résonner des tambours sur les rives, se jeta dans l’eau avec une hallebarde, ressurgit en brandissant la tête du dragon, mais disparut ensuite dans la rivière. Il fut donc vénéré pour s’être sacrifié pour son peuple. Suivant les régions, il y a beaucoup d’autres divinités de l’eau, mais qui sont inconnues en dehors de leur localité. Il ne faut pas confondre le Erlang shen, appellation de Li Bing ou Zhao Yu, avec le Erlang shen frère de la déesse du mont Huashan et guerrier céleste que l’on retrouve dans le roman « Le Voyage en Occident » ; ni avec Yang Jian, le Erlang shen du roman « L’investiture des dieux », qui avait trois yeux et le pouvoir de se transformer, de monter au ciel, d’entrer dans la lune.
Les deux sages Mei et Ge (Mei Ge er sheng) étaient, dans la plupart des régions, les patrons des teinturiers et des imagiers qui imprimaient des images de nouvel an en couleurs. Coexistent deux mythes sur ces dieux. . D’après l’un, il s’agissait de deux amis qui vivaient à une époque où les hommes ne connaissaient que la toile écrue et les peaux de bêtes. Un jour, l’un d’eux tomba par accident dans une rivière aux eaux boueuses et ensuite ne réussit pas à laver son vêtement, qui était devenu jaune. Il en avertit son ami et ainsi aurait découvert la teinture jaune à partir de certaines terres. Il trouvèrent ensuite d’autres colorants, toujours par accident : des vêtements mis à sécher sur une branche et tombés sur l’herbe se tachèrent en différents endroits : les colorants végétaux étaient découverts. Un soir où ils se soûlaient ensemble, l’un d’eux cracha par inadvertance dans une jarre à teinture et le tissu pris un bleu magnifique : ils avaient découvert le colorant tiré du ferment de vin. L’autre mythe dit que Mei et Ge n’étaient pas des hommes, mais une prune (mei) et une sorte d’oiseau (ge niao). Un empereur mécontent de ne pas avoir un vêtement de couleur rouge pour se distinguer des gens du peuple, mettait à mort les artisans, incapables de le satisfaire. Pour sauver ses collègues, un vieillard trompa le souverain et prétendit y parvenir si on lui laissait du temps. Mais la date approchait et il n’avait rien trouvé quand il remarqua que le jus d’une prune teintait le bec d’un oiseau et il eut l’idée d’en tirer une teinture. Il sauva ainsi les autres artisans et ceux-ci voulurent l’honorer ; mais il refusa, déclarant que c’était l’Empereur du Ciel qui avait envoyé deux immortels sous forme d’une prune et d’un oiseau ; c’est donc à eux qu’on éleva un temple.
Il y en avait bien d’autres : Taishang Laojun était le dieu des orfèvres, car, dans son chaudron aux Huit Trigrammes, il faisait fondre la drogue d’immortalité, le cinabre ou oxyde de mercure ; Can Jie, inventeur de l’écriture, était celui des scribes et greffiers ; Cai Lun, inventeur du papier, celui des fabricants de papier ; Song Jiang, chef des brigands du roman « Au bord de l’eau », celui des voleurs ; et, merveilleux exemple de syncrétisme religieux, Matteo Ricci, le missionnaire italien qui avait apporté des techniques occidentales, celui des fabricants et réparateurs de montres à Shanghai.