Le Daode jing, le livre de la Voie et de la Vertu


Le Daode jing, le livre de la Voie et de la Vertu est un texte fondateur du taoïsme. D'après la tradition Laozi remis le texte à Yin Xi, le gardien de la passe de Hangu, avant de poursuivre son voyage vers l'Occident. C'est un chef-d’œuvre de la littérature chinoise et l'un des principaux textes liturgiques taoïstes sur lesquels méditer. D'un style sobre et concis, il rassemble en 81 chapitres quelques 5000 mots répartis en deux sections consacrées respectivement à la Voie et à la Vertu.

On y trouve des thèmes fondamentaux : la spontanéité et le non-agir, l'idée de retour et l'exaltation du laisser-aller au cours des choses, renvoyant tous à différents domaines, comme la métaphysique, la culture et l'art de gouverner. La version transmise du Daode jing, compilée selon la tradition, au IVème siècle av JC, date sans doute des premiers siècles de notre ère.

Suivre la Voie implique pour Laozi de rompre avec la société et ses milles désirs, à commencer par celui d'apprendre. Contre l'amour de l'étude prôné par Confucius, Laozi préfère "apprendre à désapprendre" et s'enfermer en lui-même pour accomplir le mouvement de "retour" (fan) à l'oeuvre en toute chose. S'excluant de la foule qui parle sans retenue, s'agite et se disperse dans le divers, il se dépeint lui-même dans un passage fameux comme un idiot mutique, délaissé de tous et concentré sur l'Un.

Ainsi la culture de soi est-elle une quête solitaire : nul romantisme dans cette idée mais seulement la conscience aiguë que la frénésie sociale détourne de la vraie souveraineté. Le monachisme taoïste, ainsi que l'isolement de l'empereur dans la Cité interdite, sont en germe dans Laozi.

Le Saint (l'être asocial et insaisissable, exerçant partout une influence souveraine) auquel fait référence Laozi, se situe au delà du bien et du mal : en dépit des choix moraux de la société, il sait que le négatif est impliqué dans le positif, que la beauté est cernée de laideur, yin et yang, scandant partout le rythme de leur alternance.

Il sait aussi que la vigueur expansive, lumineuse et masculine du yang où les humains se complaisent, finit toujours dans la raideur des cadavres. Aussi préfère t-il cultiver le yin féminin, dans le souci de faire place en soi à ce vide qui circonscrit toute existence et lui donne sa force.

L'image du nouveau-né, bloc d'énergie contenue et de nature brute, incarne bien le paradoxe de cette faiblesse invulnérable : elle alimentera dans le taoïsme des pratiques de Longue vie, destinées à réveiller en nous l'embryon immortel.

Nul égocentrisme dans cette quête de souveraineté intérieure : se prendre soi-même pour l'objet de l'action est en effet la meilleure façon d'échouer, et ce n'est que lorsque le Saint, à l'image du Ciel-Terre, "ne vit pas pour lui-même" que la vie se fait en lui surabondante. La vraie spontanéité consiste donc à laisser faire en soi-même ce qui "va de soi" (zi ran), sans se crisper sur un soi conquérant. De même, la vertu n'est vraiment vertu que de s'ignorer telle, et si les vertus confucéennes manquent leur but, c'est de n'être qu'une nomenclature qui voudrait baliser la conduite. par ses paradoxes ravageurs, laozi semble vouloir en délier le sens, pour mieux redonner à la vie qu'elles enserrent sa puissance d'aller.

Zhuangzi, un des pères fondateur du taoïsme


Zhuangzi est un personnage énigmatique de la période des Royaumes Combattants (453-221 av JC) a joué un rôle fondamental dans le développement du taoïsme en tant que philosophie.

C'est le plus éminent prosateur  de son époque, et à certains égards, le fondateur de la prose classique autant que le "codécouvreur" du taoïsme philosophique. Si il prolonge la pensée de Laozi, il l'illustre surtout de merveilleux récits qui mettent en scène un monde de fous, d'originaux, de personnages plus ou moins tordus.

Son biographe, Sima Qian, se dit d'ailleurs éperdu d'admiration mais aussi saisi par le désarroi devant une telle floraison d'images, "dont on ne peut tirer aucun profit".

Zhuangzi semble être l'initiateur d'une forme d'écriture qui fit ensuite florès, le "court récit", ou apologue, en particulier avec son successeur idéologique, Liezi, qui le plagia moult fois.

Contrairement à Laozi, Zhuangzi s'intéressait fort peu au monde politique et visait surtout à faire retour à la nature et au Dao, la Voie. On vit souvent en lui une espèce de mystique rêvant de se fondre dans le Grand Tout, l'Un identifié au Dao. Il ferrailla, parfois durement, contre Confucius et ses adeptes parce qu'ils voulaient faire du monde malgré lui. Ne faut-il pas plutôt ne pas vouloir, ne pas désirer, en un mot ne pas agir?

Son oeuvre, le Vrai Classique du Sud Fleuri, composée de trente-trois chapitres, est extrêmement composite et assurément compilée à une époque tardive, quoique sa partie la plus ancienne passe pour être authentique. Elle est un éblouissement de l'intellect qui égare plus qu'elle n'oriente, pour le plus grand plaisir de l'esprit.

Le Yin et le Yang



Le Yin désignait à l'origine le versant d'une colline à l'ombre (Nord), Yang désignait le versant exposé au soleil (Sud). D'un point de vue cosmogonique, Yin et Yang constituent une première diversification de l'Unité ou de Souffle primordial, à laquelle ils imposent des directions en déterminant la manifestation graduelle des 10.000 entités (ou êtres). Dans la cosmologie, Yin et Yang classent la réalité selon un système binaire dans lequel les opposés, loin d'être inconciliables, sont complémentaires et interdépendants ; chacun contenant le germe de l'autre, ils sont en mutation constante, état caractérisé par des phases d'expansion et de contraction.

Yin est associé au féminin et la Terre, Yang au masculin et au Ciel, jusqu'à comprendre tous les aspects subtils et grossiers du monde, liés entre eux en vertu du principe de la résonance. Vers le IIIème siècle avant notre ère, le couple Yin-Yang fut associé aux théories des 5 éléments et des trigrammes et hexagrammes, créant une grille cosmologique complexe et articulée, en usage aujourd'hui dans une vaste série de sciences. Ces principes furent aussi adoptés par le taoïsme ; il les appliqua notamment dans le cadre des diverses techniques de perfectionnement spirituel. Le but de la méthode alchimique, qui met l'accent sur le concept "d'inversion" (ni), est appelé Pur yang et doit être entendu comme l'état indifférencié à l'origine de la manifestation auquel on accède en suivant un parcours inverse du cours naturel, qui tend vers le déclin et la mort (Yin).

Le symbole du Taiji (en photo), illustre visuellement le principe de la nécessaire corrélation entre Yin et Yang, chacun de ceux-ci étant en germe dans son opposé. Le dynamisme de l'image renvoie à leur mouvement constant, dans lequel l'apogée de l'un entraîne celui de l'autre.

L'une des plus ancienne classification binaire de la réalité est mentionnée dans un manuscrit du IIIème siècle avant notre ère retrouvé à Mawangdui (Changsha, Hunan), dans lequel figurent les paires d'opposés suivantes : Terre-Ciel, Automne-Printemps, Hiver-Été, Nuit-Jour, Petit État-Grand État, État sans influence-Etat influent, Non action-Action, Contraction-Expansion, Ministre-Souverain, Dessous-Dessus, Femme-Homme, Fils-Père, Frère cadet-Frère ainé, Jeune-Vieux, Silence-Parole.

Laozi/Lao-tseu, le père du taoïsme



Laozi/Lao-tseu (570-490 av JC) est un philosophe chinois qui selon la légende serait né à Chu, sous un prunier. Il semble que se réfère aussi à sa naissance le nom Li (prunier) qui lui est attribué au Ier siècle avant JC. Il apparaît dans diverses sources sous le nom de Lao Dan. Il est devenu un personnage mythique tenu par la tradition pour être l'auteur du Dao dejing (ses enseignements), ouvrage fondamental de la culture chinoise. Les textes les plus anciens du Zhuangzi datant du IVème siècle avant JC évoquent la mort d'un certain Lao Tan et la discrétion du sage. Il faut attendre les Mémoires historiques (Shiji) de Sima Qian terminés autour de 100 avant notre ère pour que se fixent les traditions. Il n'existe aucune preuve scientifique de l'existence de Laozi. On raconte qu'il se promenait souvent à dos de buffle.

L'historigraphie officielle en fait un devin-annalyste de la cour durant la dynastie des Zhou, mais qui fut vite fatigué de cette tâche peu conforme à ses ambitions et à sa conception du monde. Plutôt que de retranscrire les évènements passés et de prévoir l'avenir au seul service du souverain, il se pencha sur le mystère des choses et des êtres. A partir de sa connaissance du Dao, la Voie, telle qu'elle est enseignée par le Yijing, le classique des changements, il construisit un nouveau modèle d'explication et l'appliqua à son idéal, celui du saint.

Il devient alors un contemporain de Confucius (551-479) mais plus âgé que lui, qu'il morigène pour son arrogance. Il disparaît ensuite vers l'ouest et quitte la Chine (pour l'Inde selon certaines sources), déçu par la situation de l'époque. Sa divinisation est acquise en 166, il devient Li Hong ou Suprême Seigneur Lao, quand l'empereur Houan de la dynastie des Han sacrifie personnellement à un Laozi cosmique, dont rend compte le texte de "L’inscription". Cette figure semble particulièrement en honneur parmi les hommes de guerre mais le livre sert aussi aux dames de la cour de manuel de pratiques sexuelles censées renforcer la fertilité. Pour les taoïstes, le Seigneur Lao est au pinacle du panthéon. Ce Laozi divinisé renait régulièrement et va et vient dans le monde des hommes. Il demeure selon les versions dans la Grande Ourse ou dans le ventre de sa mère. Il fut alors inclus dans la Triade des 3 Vénérables célestes.

Parrallèlement, la lente diffusion du Laozi produit une exaltation mystique qui fait du personnage mythique un sauveur. Pour le courant des Maîtres Célestes reconnu comme église en 215, Laozi n'est plus le "Vieux Maître" mais le "Vénérable Prince de la Suprême Souveraineté".

Au cours du Vème siècle, les églises taoïstes devant se positionner face au bouddhisme, Laozi devint celui qui, parti vers l'ouest, initia les barbares à un message qu'ils méconnurent et attribuèrent au Bouddha. De cette divinisation, un trait est saillant : le corps de Laozi est un corps de transformation. Il change neuf fois en une journée. Sa gestation de quatre vingt-un ans fait de lui un "Vieil Enfant". L'imagerie le place au centre d'un vaste complexe de mythes, de nombres et de symboles. En parcourant mentalement son corps, de Laozi, l'adepte taoïste fait descendre en lui la puissance qu'il incarne. Il se rend alors immortel.
 
Le culte de Laozi connut son moment de gloire sous les empereurs Tang, en particulier sous Gaozong (régna de 649 à 683) et Xuanzong (régna de 712 à 756). Ce dernier ordonna que des temples taoïstes consacrés au "Vieux Maître" fussent ouverts dans la capitale de chaque province de l'empire.

Le Yijing, le livre des mutations


Le Yijing (Livre des Mutations) occupe une place centrale dans le taoïsme mais est aussi l'un des des Cinq Classiques confucéens. Manuel de divination et livre de sagesse, il a été composé par étapes successives entre la fin des Zhou occidentaux (1050-770 av JC) et les Royaumes Combattants (453-221 av JC). Il s'organise autour de soixante-quatre hexagrammes, permutations de six lignes pleines ou brisées. A chaque figure sont attribués un nom et une formule oraculaire ; chacun des six traits de l'hexagramme est caractérisé par un oracle.

Le Yijing inclut en outre sept commentaires distincts, parmi lesquels trois se subdivisent en deux pour former les Dix Ailes. Les hexagrammes, leurs noms et oracles constituent le Zhouyi (Mutations des Zhou) ; le Zhouyi et les Dix Ailes, le texte canonique du Yijing.

La tradition attribue l'ouvrage à l'inspiration conjointe de quatre sages : Fuxi, le roi Wen, le duc de Zhou et Confucius ; ils auraient constitué les figures, formulé les oracles, et rédigéles Dix Ailes. 

Un tel développement, linéaire et idéal, n'est pas corroboré par les sources archéologiques. L'étude de l'élaboration du Zhouyi est cependant malaisée dans la mesure où le processus de formation des figures mantiques est incertain et l'agrégation des oracles pose problème. Issu d'une tradition de devins reprise par des scribes royaux pour s'inscrire dans un enseignement de sagesse, ou projet d'emblée politico-moral sous-tendu par l'activité spéculative de lettrés, le Zhouyi tend, sous la période des Printemps et Automnes (722-481 av JC) à s'affranchir de la tradition divinatoire dont il est probablement issu pour former une rationalisation du changement.

C'est l'adjonction progressive des Dix Ailes vers le IIIème siècle avant JC qui marque la systématisation de l’œuvre et son intégration aux mouvements cosmologiques contemporains. Les figures et formules attachées sont interprétées sous un angle philosophique ; réplique de l'univers, le sage y lit le monde et ses transformations.

Les traits constitutifs des hexagrammes, brisés et pleins, deviennent images respectives du yin et du yang issus de l'unité primordiale, grand vide indifférencié. Le Ciel donne l'impulsion par le yang, la Terre se conforme par le yin, leur activité induit la multiplicité des phénomènes dont huit trigrammes, issus de la combinaison de ces deux monogrammes premiers, constituent les images fondamentales. Les soixante-quatre hexagrammes, à leur tour issus de la combinaison de ces huit trigrammes, en viennent à constituer la réplique de l'ordre universel ou infini des possibles, chacun d'eux dessinant la tournure d'une situation donnée, à un moment particulier. 

Chaque formule attachée aux traits est introduite par la désignation de sa position au sein de la figure selon un mouvement ascendant. Les formes d'interaction des six traits, couplés à la structuration des trigrammes au sein de l'hexagramme, déterminent l'archéologie de la situation.

Un dispositif de lecture des transformations de l'univers est inféré de la lecture des figures ; l'interprétation des formules attachées engendre la systématisation d'un vocabulaire de la transformation. L'activité humaine est intégrée aux modes de constitution des figures, la position du sage ou de l'homme de peu est retranscrite par celle des traits. De la dualité complémentaire du yin et du yang naissent l'harmonie, la potentialité, l'adéquation et l'humanité, qualités des traits au sein des hexagrammes et des hommes en société. De la mise en mouvement des situations naissent leurs interactions et transformations.

Transcendant les modèles symboliques, le Yijing fait l'objet d'une quantification réelle sous les Han (206 avant JC-220 après JC). Le calendrier impérial est basé sur la combinatoire de ses figures et la structure de son contenu fonde les disciplines du savoir en Chine.

La légende de Duangu et Guanyin


Duangu et sa belle-sœur avaient pris le bateau pour venir faire leurs dévotions à la déesse Guanyin, sur l'île de Putuo dans l'archipel des Zhoushan. Alors que le bateau atteignait le rivage, Soeur Duangu tomba gravement malade et dut renoncer à faire l'ascension de la montagne. Sa belle-sœur partit donc seule prier Guanyin, déesse de la Miséricorde. le soleil atteignait son zénith quand le vent se leva, emportant le navire loin du rivage.

Restée seule à bord et alitée, Soeur Duangu se sentit prise d'effroi tandis que la faim la tenaillait. Alors qu'elle s'abandonnait au désespoir, une femme vêtue de blanc apparut sur le rivage, portant un panier de provisions. L'apparition prit une poignée de galets et la jeta dans la mer. A peine les pierres eurent-elles touché l'eau qu'elles se transformèrent en une chaussée sur laquelle la femme en blanc s'engagea pour approcher le bateau.

Elle déposa son panier à bord et disparut aussitôt. De retour à bord, la belle-sœur, en écoutant le récit de Duangu comprit aussitôt que l'apparition n'était autre que Guanyin. Prenant Duangu sur son dos, elle la conduisit au temple de la déesse pour la remercier de sa miséricorde. Ô stupeur, quand elles parvinrent auprès de l'autel, le bas de la robe de Guanyin était encore tout mouillé.