Petits contes traditionnels chinois (4ème partie)

Voici la dernière partie des petits contes de la tradition populaire chinoise :

Le Renard et le Tigre

Le tigre ayant capturé un renard dans la forêt, voulut en faire son repas. Le renard, rusé compère, lui dit sans sourciller :
- Tu ne dois pas me manger, je suis envoyé par l'Empereur du ciel pour être Roi chez les animaux. Il t'en cuira si tu désobéis aux ordres de l'Empereur Céleste. Vu la petite taille du renard, le tigre faisait peu de cas de ses vantardises.
Le renard repris :
- Si tu doutes de mes paroles, mets-toi derrière moi, nous allons faire un tour dans la jungle. Tu verras comment les animaux seront frappés de terreur à ma vue.
Le tigre y consentit.
Les voilà partis, le renard devant, le tigre derrière, suivant de près.
A la vue du tigre, tous les animaux s'enfuient pris de panique. Se retournant alors vers le tigre, le renard lui dit d'un air triomphant :
- Regarde, tous me craignent!
Et le tigre d'acquiescer :
- Certes, tu jouis d'un prestige incontestable. Dès qu'ils te voient, ils se sauvent tous.

La Fausse Rumeur

Zeng Shen était le disciple de Confucius. Il avait quitté le toit familial pour se rendre dans le royaume de Fei. Là vivait un homme qui portait aussi le nom de Zeng Shen, et cet homme avait commis un meurtre. Un inconnu prit le bon disciple de Confucius pour l'assassin, alla trouver sa mère et lui dit :
- Je viens d'apprendre que votre fils Zeng Shen a tué un homme dans le royaume de Fei.
La vieille femme, qui était en train de tisser, lui répondit sans lever la tête :
- Mon fils n'est pas capable d'un pareil forfait.
Et elle continua calmement à tisser.
Au bout d'un instant un deuxième inconnu survient:
- Votre fils Zeng Shen a tué un homme.
La mère restant assise, continua à tisser tranquillement.
Au bout d'un instant, un troisième homme arriva, apportant la même nouvelle :
- Zeng Shen a tué un homme.
Du coup, prise de peur, elle jeta sa navette et se sauva en escaladant la clôture.
Zeng Shen était, au su de tous, un homme de vertu et sa mère avait en lui une entière confiance, pourtant lorsque trois hommes l'eurent, l'un après l'autre, accusé d'un meurtre, même sa mère commença à douter de lui.
La Mauvaise Direction
Un homme partit de son pays dans le bassin du Fleuve Jaune pour se rendre au royaume de Chu dans le bassin du Yangzi. Tout le monde sait que le royaume de Chu était au sud. Cependant, cet homme monta dans sa voiture attelée et se fit conduire vers le nord.
Sur la route on essaya de le détromper:
- Voyons, vous vous trompez de route. Pour se rendre au royaume de Chu, il faut se diriger vers le sud. Pourquoi allez-vous dans la direction opposée?
Mais notre voyageur répondit:
- Cela ne fait rien. J'ai là de bons chevaux qui vont vite.
- Vous pouvez avoir de bons chevaux, mais si vous continuez à avancer dans cette direction, vous n'arriverez pas au royaume de Chu.
Le voyageur reprit:
- Cela ne fait rien. J'ai beaucoup d'argent sur moi.
- Vous pouvez avoir beaucoup d'argent, ça ne vous servira à rien;si vous persistez dans cette direction, jamais vous n'arriverez au royaume de Chu.
- Cela ne fait rien. J'ai là un cocher qui sait conduire à merveille.
Ainsi, s'obstinait le voyageur qui voulait se rendre au royaume de Chu en se dirigeant vers le nord.
Quelqu'un lui dit :
- D'avance je vous mets en garde; meilleurs sont vos chevaux, plus garnie votre bourse et plus habile votre cocher, plus vous vous éloignerez du royaume de Chu.

Dessiner un Serpent avec des Pattes
Dans le royaume de Chu, une famille faisait des offrandes aux ancêtres. Le rite accompli, un pichet de vin fut donné aux gens de service. Ils étaient cependant tellement nombreux qu'il eût été difficile de faire boire tout le monde. Après un bon moment d'hésitation, on finit par prendre le parti suivant :
Chacun dessinerait un serpent sur le sol et celui qui aurait fini le premier, recevrait le pichet de vin.
Il y avait parmi eux un dessinateur habile qui en un tour de main eut achevé son serpent. C'était bien à lui que le vin revenait de droit.
Il regarda autour de lui. Tout le monde s'appliquait. Alors, prenant le pichet de la main gauche, il détacha avec sa main droite un branche d'arbuste et s'exclama d'un air triomphant:
- Que de temps vous mettez à la besogne! Je vais ajouter des pattes à mon serpent.
Pendant qu'il s'amusait à faire des pattes à son serpent, un de ses camarades termina le sien. D'un coup brusque, il lui arracha le pichet de la main en disant :
- Un serpent n'a point de pattes, pourquoi lui en ajouter? C'est donc moi qui ai achevé le premier et non pas toi!
Et il se mit à boire.
C'est ainsi que celui qui avait dessiné des pattes à son serpent vit lui échapper ce qu'il avait en main.

La Lumière Partagée
Quelques jeunes filles avaient coutume de se cotiser pour acheter de l'huile, avec laquelle elles entretenaient la nuit une lampe pour travailler en commun. L'une d'entre elles était très pauvre, si pauvre qu'elle ne pouvait pas verser sa part.
Ses camarades moins pauvres qu'elle se lassèrent de la voir venir sans apporter sa part et voulurent la chasser.
Sur le seuil, la pauvre fille se retourna vers ses camarades et dit:
- Je n'ai pas d'argent pour acheter l'huile, mais j'arrivais toujours la première, je me mettais à faire la pièce pour vous, à arranger les sièges pour que vous puissiez travailler confortablement. Pourquoi vous montrez-vous si avares d'un peu de lumière? La lampe n'en a-t-elle pas assez pour éclairer toute la pièce? Laissez-moi en profiter. Vous n'y perdrez rien et j'y gagne beaucoup. Pourquoi voulez-vous me chasser?
Convaincues par ces mots, les jeunes filles reconnurent leur tort et prièrent leur camarade de rester.

L'Arbitre des Elégances

Zou Ji, du royaume de Qi, avait une taille de plus de quatre vingt pouces. C'était un fort bel homme. Un jour, il s'habilla avec grand soin, se regarda dans le miroir et dit à sa femme:
- Lequel est le plus beau, le seigneur Xu qui habite le quartier nord ou moi?
Sa femme répondit:
- Tu es bien plus beau que le seigneur Xu.
Cependant, le seigneur Xu passait généralement pour le plus bel homme du royaume. Que lui, Zou, fût encore plus beau, c'est ce qu'il avait peine à croire. Il s'adressa donc à sa concubine:
- Qui te paraît le plus beau, le seigneur Xu ou moi?
La concubine répondit:
- Le seigneur Xu t'est bien inférieur.
Quelques instants après, un de ses protégés vint lui faire visite. Au cours de la conversation, Zou Ji renouvela encore une fois la question:
- Qui est le plus beau, le seigneur Xu ou moi?
Et l'homme de répondre:
- Vous êtes bien plus beau que lui.

Le lendemain, le seigneur Xu vint en personne lui rendre visite. Il put donc examiner à loisir cet homme qui lui parut d'une beauté incontestablement supérieure à la sienne. Il prit de nouveau le miroir qui lui confirma cette vérité. Il était évident que le seigneur Xu était le plus beau des deux.
Le soir, quand Zou Ji se fut couché, il repensa à son aventure. Voici la conclusion qu'il en tira:
- Si ma femme a dit que j'étais plus beau que le seigneur Xu, c'est qu'elle était partiale; si ma concubine a exagéré ma beauté, c'est qu'elle avait peur de moi; si le visiteur a fait de même, c'est qu'il avait quelque faveur à me demander.
L'Achat d'un bon Cheval
Il y avait autrefois un Roi qui était prêt à donner mille pièces d'or pour avoir un coursier de race. Mais au bout de trois ans de recherches, le cheval était encore à trouver. Un de ses eunuques demanda à être chargé de cette mission, ce que le Roi lui accorda volontiers. 

L'eunuque se mit en quête, et au bout de trois mois on lui signala un bon cheval. Mais quand il se présenta chez le marchand, le cheval venait de mourir. Après quelques délibérations, il décida d'acheter, au prix de cinq cents pièces d'or, la carcasse du cheval mort dont il rapporta la tête.
Quand le Roi la vit, il se mit fort en colère :
- Je veux un cheval vivant, s'exclama-t-il, et tu me rapportes là la tête d'un cheval mort. A quoi cela sert-il? Tu gaspilles mon argent pour rien.
Alors sans se troubler le moins du monde, l'eunuque expliqua :
- Le fait que vous avez acheté la carcasse d'un cheval mort pour cinq cents pièces d'or donnera à penser quel prix vous accorderiez pour un coursier vivant. Quand cela se saura, vous passerez aux yeux de tous pour un grand amateur de chevaux de race et ceux qui en possèdent viendront d'eux-mêmes se présenter à votre porte. Attendez-les.

En effet, moins d'un an après, le Roi était possesseur de trois magnifiques coursiers.


La statuette de terre et la marionnette 

Le Prince Mengchang voulait quitter sa patrie, le royaume de Qi pour se rendre au royaume de Qin où il espérait se voir attribuer de hautes fonctions. Les gens de sa suite essayèrent en vain de l'en dissuader.L'un d'entre eux, cependant, eut l'idée d'une métaphore qui le convainquit.
- Un jour que je traversais la rivière Zihe, j'ai surpris la conversation d'une marionnette et d'un statuette de terre. La marionnette disait à la statuette :
- A l'origine, vous n'étiez qu'un morceau de terre de la rive ouest, c'est de cette terre que vous avez été faite. S'il se met à pleuvoir en abondance, le eaux du fleuve, en débordant, pourront fort bien vous détruire.
Et la statuette lui répondit :
- Je serai détruite, c'est vrai; mais je retrouverai simplement ma première forme, je redeviendrai un morceau de terre, voilà tout; tandis que vous, qui avez été faite d'un arbre du verger de la rive est, s'il se met à pleuvoir en abondance, les eaux du fleuve, en débordant, vous emporteront à leur guise et vous ne serez plus maître de votre destinée. Sur quel rivage irez-vous échouer ?
Après avoir écouté ce récit, le Prince renonça a son projet d'aller au royaume de Qin.


L'épée perdue

Un voyageur traversait le fleuve en bateau. Dans un moment de distraction il laissa tomber son épée dans l'eau. Il fit immédiatement une entaille sur le rebord du bateau à l'endroit même où l'épée avait glissé dans l'eau.
- C'est par ici, dit-il, que mon épée est tombée. Tout à l'heure quand le bateau accostera, je descendrai sous l'endroit marqué pour chercher mon épée.
Le bateau avait fait du chemin depuis la chute de l'épée, tandis que celle-ci était restée sans bouger au fond du fleuve. Le voyageur n'était-il pas mal avisé de vouloir chercher son épée de cette manière là ?

Le fils d'un bon nageur

Un voyageur passant sur la rive d'un fleuve vit un homme qui tenait un jeune garçon dans les bras et semblait avoir l'intention de le jeter à l'eau. L'enfant terrifié, poussait des cris.
Le voyageur s'approcha et lui demanda :
- Pourquoi voulez-vous jeter l'enfant dans le fleuve? Il va s'y noyer.
- Rassurez-vous, lui répondit-il. C'est le fils d'un homme qui sait nager à la perfection.
Le voyageur reprit :
- Il est possible que le père de ce petit soit un bon nageur, mais lui-même sait-il nager sans l'avoir appris?


Difficile à Satisfaire

Un homme pauvre rencontra sur sa route un ancien ami. Ce dernier possédait une puissance surnaturelle qui lui permettait de faire des miracles. Comme l'homme pauvre se plaignait de sa vie difficile, son ami toucha du doigt une brique qui se transforma aussitôt en or. Il l'offrit au pauvre qui trouva que c'était trop peu.
L'ami toucha un lion de pierre qui se changea en un lion d'or massif. Il l'ajouta à la brique d'or. Le pauvre trouva encore le cadeau insuffisant.
- Que désires-tu donc de plus? Demanda le faiseur de prodiges.
- Je voudrais ton doigt! Répondit l'autre.

La Cloche

Un homme ayant aperçu une cloche en bronze dans une maison délabrée, voulut s'en emparer. Il essaya de la charger sur son dos, mais elle était si lourde qu'il ne parvint pas à la soulever. Il s'avisa d'un moyen qui lui semblait bon :
Mettre la cloche en pièces, puis en emporter les morceaux un à un. Mais à peine l'eut-il touchée, qu'elle se mit à tinter. De peur qu'attiré par le son on vienne la lui disputer, il se boucha les oreilles.
Passe encore de vouloir empêcher les autres d'entendre, mais ne pas vouloir entendre soi-même, a-t-on jamais rien vu de plus stupide?

Un Cavalier Maladroit 

Chargé d'une mission urgente, un cavalier ayant grande hâte d'arriver pressait sa monture; mais il avait beau jouer de la cravache, le cheval refusait de prendre le galop. Arrivé au bord d'une rivière, le cheval s'arrêta net. Exaspéré, le cavalier mit pied à terre et, pour punir l'animal, il le renversa dans l'eau.
Puis, ayant jugé la punition suffisante, il le tira de là, l'enfourcha et continua son chemin. Mais au bout d'un instant, le cheval s'arrêta de nouveau. Le cavalier remit pied à terre et renversa encore le cheval dans l'eau.
Trois fois la scène se répéta, mais le cheval n'en accéléra pas pour cela son allure.
Si l'on ignore l'art de manier un cheval, menaces et punitions prodiguées à son égard ne sont d'aucun secours.

Une Vieille bien Avisée

Une vieille femme s'était liée d'amitié avec sa jeune voisine. Un jour, cette dernière, soupçonnée par sa belle-mère d'avoir mangé en cachette un morceau de viande, vint se plaindre à sa vieille amie. - Ma belle-mère veut me chasser, lui dit-elle
- Reste là, lui dit la bonne femme. Tu vas voir, je vais faire revenir ta belle-mère sur sa décision.
Là-dessus, elle prit une botte de paille et se rendit chez ses voisins.
Quand elle vit la belle-mère, elle fit semblant d'ignorer la querelle, et dit simplement :
- Quel ennui ! Pour un morceau de viande mes deux chiens ne cessent de faire du bruit. Veux-tu me passer du feu, je vais allumer ma lampe et les rosser pour les faire taire.
A ces mots, la voisine comprit son erreur et ne menaça plus sa bru.
Pour convaincre quelqu'un l'important est de savoir s'y prendre. Les grands discours ne sont pas forcément nécessaires.

Les Branches Fourchues

Les habitants d'un certain village de montagne avaient coutume de se servir de branches fourchues pour fabriquer les pieds de leurs tabourets. Un jour, un paysan qui voulait réparer les pieds d'un tabouret, dit à son fils d'aller couper une branche fourchue dans la montagne. Le fils prit sa hache et s'en fut.
Après une journée, il revint bredouille. Son père lui reprocha son incapacité.
- C'est vrai, il y avait beaucoup de branches fourchues lè-bas, dit le fils, mais elles poussaient toutes dans le sens de la hauteur!

La Seiche

La seiche a huit bras qu'elle peut ramasser sur sa bouche, et en se rétractant, elle peut cacher sa bouche sous son corps. Et, pour plus de précaution contre le danger, elle émet un liquide noir comme de l'encre qui sert à la dissimuler. Mais partout où les pêcheurs voient l'eau se noircir, ils jettent leurs filets... et les seiches sont prises.

La Chauve Souris

Le jour de l'anniversaire du Phoenix, tous les oiseaux se présentèrent devant lui pour lui offrir leurs souhaits; seule la Chauve Souris ne se présenta pas. Le Phoenix, fort vexé, lui en fit la remarque:
- Vous êtes mon sujet, dit-il et non mon suzerain!
La Chauve Souris répondit:
- Voyez mes pattes, suis-je un oiseau? Pourquoi vous aurais-je adressé mes hommages?
Mais le jour de l'anniversaire de la Licorne, la Chauve Souris ne parut pas non plus. La Licorne lui fit des reproches.
- Moi? dit la Chauve Souris, voyez mes ailes, je suis oiseau; pourquoi vous adresserais-je mes hommages?
Le Phoenix et la Licorne se rencontrant, se répétèrent les propos de la Chauve Souris.
"Le monde dégénère pour qu'une bête ayant quatre pattes et de telles ailes puisse y faire son apparition, soupirèrent-ils. Et nous n'y pouvons rien!"

L'homme qui ménageait son âne
.
Un vieil homme, riche et avare, prêtait de l'argent à des taux usuraires; il ne se passait pas de jour qu'il n'allât toucher ses intérêts. Mais ses sorties quotidiennes le fatiguaient beaucoup. il achetat un âne. Il prit grand soin de sa monture et, à moins d'être vraiment à bout de forces, il ne montait jamais sa bête. Bref, l'homme chevauchait son âne tout au plus une quinzaine de fois par an.
Par un jour de forte chaleur, ayant un long trajet à faire, l'usurier résolut d'emmener son âne. A mi-route, le vieillard, haletant, se décida à enfourcher son baudet. Après deux ou trois "lis" de trajet, l'âne peu habitué à porter un cavalier se mit à haleter à son tour. Son maître, affolé, s'empressa de descendre et de débâter. L'âne crut qu'on n'avait plus besoin de ses services; il fit demi-tour et prit la route en sens inverse. Le vieillard lui cria de revenir, mais l'âne continua son trot sans se retourner.

Partagé entre la crainte de perdre son âne et celle de perdre son bât, le vieil homme rebroussa chemin, portant le bât sur son dos . Arrivé chez lui, sa première parole fut pour demander si l'âne était de retour.
- Mais oui, répondit son fils.
Le vieillard en fut très content, mais lorsqu'il se fut débarrassé du bât, la fatigue et la chaleur commencèrent à se faire sentir, il dut s'aliter et fut malade tout un mois.


Deux bonzes et un Pèlerinage

Dans la montagne Emei, il y avait de nombreux monastères. Les bonzes des grands monastères étaient très riches et ceux des petits monastères, très pauvres. Un jour, un bonze d'un petit monastère vint rendre une visite dans un grand monastère, pour faire ses adieux, car il partait en pèlerinage à Putuo, une île de la mer de l'Est. Or Putuo est à trois mille lis de la montagne Emei; il faut gravir de hautes montagnes et traverser bien des fleuves pour s'y rendre. Ce voyage compliqué dure des mois et parfois même des années.
Quand le bonze pauvre l'eut mis au courant de son projet, le riche bonze en resta suffoqué:
- Mais qu'emportez-vous pour votre voyage?
- Un pichet et une écuelle pourvoiront à tous mes besoins. Je recueillerai de l'eau dans mon pichet et quand j'aurai faim, je demanderai qu'on dépose l'aumône de quelque nourriture dans mon écuelle.
- Moi aussi, je désire accomplir ce pèlerinage; je me prépare depuis plusieurs années, dit le bonze riche, mais je n'ai jamais pu me mettre en route car il manque toujours quelque chose. Je crains que vous ne preniez les choses un peu trop à la légère, ce voyage n'est pas aussi facile que vous le croyez!

Un an plus tard, de retour de voyage, le bonze pauvre s'en fut saluer le bonze riche du Emeishan et lui raconta comment s'était passé son pèlerinage à Putuo.
Bien que décontenancé, le bonze riche avoua :
- Pour moi, je n'ai pas encore achevé mes préparatifs pour ce voyage.

Les Deux Myopes

Il y avait une fois deux myopes qui ne voulaient pas admettre leur infirmité; au contraire, chacun voulait prouver à l'autre qu'il avait une très bonne vue. Ils apprirent un jour qu'une famille voisine allait faire porter un ex-voto au temple. Chacun s'enquit en secret de l'inscription qui y serait gravée.
Le jour où le panneau allait être mis en place, ils arrivèrent ensemble au temple. Levant les yeux, l'un des deux s'exclama:
- Quel beau panneau! "Glorieuse est ta renommée", dit l'inscription en quatre gros caractères.
- Ce n'est pas tout, ajouta l'autre, il y a encore quelques rangées de petits caractères que vous n'avez pas vues. Ces caractères disent le nom du calligraphe et la date de l'oeuvre.
En les entendant, l'une des personnes présentes demanda:
- De quoi parlez-vous donc?
- Nous discutons sur l'inscription que nous lisons sur le panneau d'ex-voto, répondirent-ils.
Tout le monde éclata de rire et quelqu'un leur dit:
- Vous vous trouvez devant un mur nu, le panneau n'est pas encore en place!

Un Caractère trop Faible

Il était une fois un vieux paysan qui vivait du rapport de quelques mous de champ qu'il cultivait lui-même. C'était un homme sans caractère, mais qui prenait sa faiblesse pour une humeur paisible. Un jour, on vint lui dire :
- Votre voisin a mené sa vache dans votre champ; elle a piétiné vos plants de riz.
- Il ne l'aura pas fait exprès, répondit le vieux paysan. Je ne peux lui en vouloir.
Le lendemain, on vint lui dire :
- Votre voisin est en train de moissonner le riz de votre champ.
- Mon voisin n'a pas grand'chose à manger, expliqua le vieux paysan, mon riz est mûr avant le sien, qu'il en récolte un peu pour nourrir sa famille, cela ne tire pas à conséquence.
Cette humilité qui poussait toujours le vieux à faire des concessions rendit le voisin de plus en plus hardi; celui-ci s'appropria une partie du champ du vieux voisin et pour faire un manche à sa houe, coupa une branche à l'arbre qui ombrageait le tombeau des ancêtres du vieillard.
Perdant patience, le vieux paysan vint lui demander des explications.
- Pourquoi vous êtes-vous approprié une partie de mon champ?
- Nos champs se tiennent, répondit le coquin, tous deux proviennent du même terrain inculte que nous avons défriché; la ligne de démarcation n'a jamais été bien tracée. Vous me reprochez d'empiéter sur votre champ? Mais c'est plutôt vous qui avez empiété sur le mien!
- Mais tout de même, pourquoi avez-vous coupé des branches à l'arbre qui ombrage la tombe de mes ancêtres?
- Et pourquoi n'avez-vous pas enterré vos ancêtres plus loin? Riposta l'autre, cet arbre a des racines qui s'étendent sous mes terres et des branches qui s'étalent au dessus de mon champ. Si je veux les couper, cela ne regarde que moi!

Devant tant de mauvaise foi, le paysan fut pris d'un tremblement de colère, mais sa faiblesse habituelle reprit le dessus et, saluant son voisin, il dit :
- Ce qui arrive est de ma faute, entièrement de ma faute! Je n'aurais pas dû vous choisir comme voisin!

Le Tabouret trop Bas

Il y avait un tabouret dans la demeure d'un certain sot; ce tabouret était trop bas et chaque fois que l'homme voulait s'en servir, il était obligé de le rehausser sur des briques. Excédé par cette manoeuvre compliquée, il chercha un expédient et eut un jour une inspiration subite, il appela son domestique et lui dit de monter le tabouret au premier étage. Quand il s'assit, il trouva le tabouret aussi bas qu'au rez-de-chaussée.
- Et on dit que c'est plus haut à l'étage! Dit-il, je ne trouve pas.


Le Martin Pêcheur

Le Martin Pêcheur est un oiseau craintif. Il bâtit son nid haut dans les arbres pour le mettre à l'abri des dangers qui peuvent menacer ses petits. Quand les petits sont éclos, l'amour qu'il leur porte lui fait craindre qu'ils ne se blessent en tombant et il descend le nid;
Quand les petits se couvrent de plumes, l'amour des parents va grandissant et le Martin Pêcheur descend son nid encore plus bas, si bas que les hommes trouvant le nid à portée de leurs mains, peuvent s'emparer des petits à leur gré.

Les Orangs Outangs

Les Orangs Outangs, assez intelligents pour deviner la causes d'un fait, ne le sont pas assez pour en prévoir les effets. Ils descendent souvent par bandes dans les vallons. Pour les prendre, les villageois disposent du vin et du marc au bord du chemin, puis à côté ils posent des sandales de paille tressée reliées entre elles par des cordelettes. En apercevant le vin et les sandales, les orangs-outangs comprennent qu'il s'agit d'un piège, et comme ils savent les noms des ancêtres de chaque village, ils crient:
"Un tel nous tend un piège!" Ils s'éloignent, mais bientôt reviennent sur leurs pas.

Après plusieurs faux départs, ils décident de concert:
"Goûtons un peu de ce vin, juste une gorgée pour nous rendre compte du goût qu'il a". Mais ils ne s'arrêtent de boire que lorsqu'ils sont complètement ivres.
Quand les villageois arrivent pour se saisir d'eux, les orangs-outans ont chaussé entre temps les sandales reliées en chapelet qui rendent leur démarche titubante encore plus difficile.
Aucun n'arrive à s'échapper.

Une Demi-Journée de Congé

Un grand personnage alla en visite dans un monastère bouddhiste. Après avoir bu de nombreuses coupes de vin, il se mit à réciter le passage d'un poème datant de la dynastie des Tang : 


Passant par un monastère perdu dans les bambous, je m'arrêtai pour m'entretenir avec le bonze;
Arraché à ma vie agitée, je goûtai un moment de détente.
Le bonze l'écouta déclamer en riant.
- Pourquoi riez-vous? Demanda l'auguste visiteur.
- Parce que votre moment de détente m'a coûté trois jours entiers de préparatifs, répondit le vieux bonze.


Intégrité

Un certain mandarin plein de convoitise voulait se faire une réputation de fonctionnaire incorruptible. Lorsqu'il fut nommé à son premier poste, il fit serment devant les dieux de ne jamais se laisser circonvenir. - S'il m'arrivait d'accepter de l'argent de la main gauche, que ma main gauche tombe en poussière! Si ma main droite accepte de l'argent, qu'elle aussi tombe en poussière! Clama-t-il.

A quelque temps de là, quelqu'un lui fit un jour apporter cent onces d'or pour s'assurer son appui dans une affaire. La crainte de la malédiction à laquelle il s'était exposé par son serment le faisait hésiter à accepter cet argent qu'il convoitait pourtant vivement. Ses subordonnés lui dirent:
- Que votre Honneur fasse mettre les lingots d'or dans sa manche, ainsi, si la malédiction agit, seule la manche tombera en poussière.

Le magistrat trouva le conseil bon et accepta l'or.

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