La légende de la fille du roi dragon et du Bodhisattva


Il y a longtemps de cela vivaient aux côtés de Bodhisattva un jeune garçon nommé Sudhana et une jeune fille appelée Fille-Dragon. Celle-ci était vraiment la fille cadette du Roi Dragon de la mer Orientale. Elle avait les yeux pétillants d'intelligence, et son père l'aimait tendrement.
  Un jour, il vint à l'oreille de la jeune fille qu'une grande fête se tenait sur la terre où l'on pouvait admirer toutes sortes de lanternes en forme de poissons. Elle exprima son désir d'y aller au roi son père qui refusa net, avec force signes de la tête, tout en frottant ses longues barbes.

-Sur terre règnent le désordre et la confusion. Tu es une Princesse, ta place n'est pas là-bas! lui dit-il.
Elle pleura, supplia, en vain, le Roi Dragon resta inflexible. Mais en son for intérieur la jeune fille avait pris sa décision :
"Eh bien, puisque vous ne voulez pas me donner votre autorisation, je m'en passerai!"
C'est ainsi que le soir même, à la deuxième veille de la nuit, elle sortit secrètement du Palais, prit les apparences d'une jeune et jolie fille de pêcheur et par le clair de lune, gagna le village en fête.
C'était un petit bourg de pêche. Il y avait beaucoup d'animation et bien sûr beaucoup de lanternes. Ses yeux allaient de l'une à l'autre, émerveillés par les poissons-scie, limules, poissons rouges et poissons noirs, poissons écailleux, langoustes, crabes, coquillages, conques marines, corail...

La jeune fille allait et venait sans plus savoir où donner de la tête; plus elle regardait, plus elle s'extasiait. Elle se laissait porter par la foule. Elle arriva ainsi à un carrefour encore plus animé où les lanternes multicolores s'empilaient les unes sur les autres formant des pyramides scintillantes de lumières.
La jeune fille resta longtemps à contempler, ravie de bonheur, les lanternes de rêves...


Mais voilà que de la fenêtre d'une maison à étages, quelqu'un versa bien malencontreusement sur sa tête une tasse de thé froid. La surprise passée, quel ne fut pas son désespoir, car au contact de l'eau, elle allait perdre son apparence humaine et recouvrer sa forme originale.
  Il lui fallait quitter les lieux au plus vite: Hors de l'eau un Dragon déchaîne le vent et la pluie, et elle ne voulait surtout pas gâcher la fête des lanternes; elle s'efforça donc de se frayer un chemin à travers la foule et courut à corps perdu vers la mer.

A peine eut-elle posé le pied sur la plage qu'elle s'affaissa sur le sable, transformée en un grand poisson. Elle gisait sur le rivage, prisonnière de sa nouvelle apparence. Deux jeunes hommes qui se trouvaient à passer par là, s'émerveillèrent à la vue de ce grand poisson luisant :
"Quel étrange poisson, comment se fait-il qu'il soit échoué sur la plage?"
Ils n'osaient pas s'en approcher. Le plus costaud des deux, guère courageux, dit de loin:
- Jamais on n'a vu un tel poisson, c'est peut-être un mauvais présage, allons-nous-en vite!
Son ami, bien que chétif, était plus audacieux, et refusa d'abandonner là la trouvaille:
- Ca n'en est pas moins un poisson, et en le portant au marché, on en tirera un peu d'argent!

Un instant d'hésitation, et les voilà tous deux portant le poisson sur le marché. Ce soir-là, la Déesse Bodhisattva, qui se reposait dans un bosquet de bambous, avait vu tout ce qui s'était passé; elle eût pitié de la jeune fille et décidé de lui venir en aide. Le jeune novice Sudhanna se tenait derrière elle, elle l'appela donc et lui ordonna :
- Vite, cours au marché du village, achète le plus grand poisson que tu y trouveras et relâche-le dans la mer.
Sudhana se prosterna le front contre terre et demanda:
- Mais, Bodhisattva, où trouverai-je l'argent pour l'acheter?
Bodhisattva dit en souriant:
- Il te suffira d'en prendre dans le brûle-parfum.
Sudhana s'inclina, courut vers l'autel d'Avalokitesvara, prit une poignée de cendres, et porté par une fleur de lotus, vola vers le marché.


Entre-temps, sur la place du marché, les deux garçons étaient très entourés. Les gens s'extasiaient, admiratifs devant le poisson. Quelqu'un demanda le prix, mais personne n'était à même d'acheter un poisson aussi gros.
- Mes enfants, ce poisson est trop grand, dit enfin un vieillard à la longue barbe blanche. Vendez-le donc par morceaux! Le vieux avait raison; le garçon à l'air chétif alla emprunter une hâche chez le boucher et la passa à son ami, plus robuste. Entouré comme il était par la foule, celui-ci n'avait plus peur; la hâche levée, il allait porter le premier coup lorsqu'un enfant s'écria:
- Regardez, le grand poisson pleure!

Le garçon arrêta le bras et s'approcha pour regarder; effectivement deux sillons de larmes scintillantes coulaient des yeux du grand poisson; épouvanté, il jeta par terre la hâche et se fraya en courant un chemin dans la foule.

Le jeune gringalet semblait décidé à ne pas perdre l'argent qu'il sentait déjà tinter dans ses mains. Il ramassa la hâche et allait l'abattre, lorsqu'il fut arrêté à son tour. Un jeune bonze, évidemment encore novice, cria, tout essoufflé:
- Non, arrête, je l'achète entier!
La foule en fut très étonnée:
"Comment se faisait-il qu'un petit bonze achète du poisson?"
Le vieillard à la barbe blanche prit un air soupçonneux:
- Un moine qui achète du poisson, c'est qu'il veut rompre l'abstinence et rentrer dans le monde?
Le petit novice qui avait rougi jusqu'aux oreilles se pressa d'expliquer:
- Je l'achète pour lui rendre sa liberté!
A ces mots, il sortit de sa poche une poignée d'argent qu'il tendit au jeune gringalet, tout en lui ordonnant de ramener le poisson à la mer.


Le jeune homme se réjouit:
"Voilà beaucoup de sous pour nous! pensait-il. Je vais porter le poisson au bord de la mer, et dès que le petit bonze sera parti, je reviendrai le vendre au marché!"

Il rappela son ami, et tous deux portèrent le poisson jusqu'à la plage, devancés par le novice. Mais une fois sur le rivage, celui-ci leur ordonna de relâcher le grand poisson dans la mer. L'eau écumante formait un sillon; déjà le poisson nageait au loin. Un instant, il se retourna, fit un signe de la tête au petit bonze et plongea dans les profondeurs marines.

Le poisson disparu, il restait quand même les belles pièces d'argent. Le petit maigre les sortit de sa poche pour les montrer à son ami, mais à leur grand étonnement, en ouvrant sa main, celui-ci n'y trouva que des cendres, vite emportées par un coup de vent. Il se tourna pour chercher le petit bonze, en vain. Lui aussi s'était comme volatilisé.

Depuis la disparition de la petite Princesse, l'agitation régnait à la Cour du Roi Dragon. Celui-ci était si inquiet que ses barbes se hérissaient, son premier ministre la tortue allongeait nerveusement son cou, le général crabe bavait à la seule idée des représailles du roi, et les crevettes, ses demoiselles d'honneur, tremblaient de peur en faisant la révérence...
Enfin, au point du jour, la fille du roi rentra au Palais. Avec un soupir de soulagement, tout le monde retourna à ses besognes.
Le Roi Dragon posa un regard sévère sur sa fille.
- Petite sotte! lui dit-il. Comment oses-tu violer les règlements du Palais et sortir en cachette! Où es-tu allée?
Son père était rouge de colère, la fillette préfèra avouer tout de suite:
- Mon roi et cher père, ne vous fâchez pas, je suis allée admirer les lanternes en forme de poissons. Si Bodhisattva n'avait pas envoyé un jeune novice pour me sauver, je ne serais plus de ce monde!


A l'idée qu'il avait risqué de perdre sa fille chérie, le roi s'attendrit. Puis une autre idée le traversa, qui prit le dessus :
"Si Bodhisattva allait rapporter cette histoire à l'Empereur Céleste de Jade, il allait se faire taper sur les doigts pour ne pas avoir élevé sa fille avec plus de sévérité." Cette inquiétude lui fit monter la moutarde au nez, il se fâcha tout rouge et chassa sa petite fille hors du Palais.

Celle-ci ne s'attendait pas à une si sévère punition. Qu'allait-elle donc faire, où irait-elle dans cette mer immense? Eplorée, elle quitta le Palais.

Le lendemain, elle arriva, toujours en larmes, à la mer des Fleurs de lotus. La Déesse Bodhisattva, qui se trouvait dans le bosquet de bambous, entendit les sanglots et reconnut la fille du Roi Dragon. Elle envoya donc Sudhana à sa rencontre. Celui-ci courut au-devant de la fillette, l'air malicieux:
- Petite soeur, ne me reconnais-tu donc pas? Le petit bonze, c'est moi.
La fillette se hâta d'essuyer ses larmes et dit, le visage en feu:
- Es-tu frère Sudhana? Tu m'as sauvé la vie!
Elle allait se prosterner, mais sudhana la prit par la main et dit:
- Suis-moi, Bodhisattva qui t'attend m'a envoyé t'accueillir.

La main dans la main, ils entrèrent dans le bosquet de bambous. A la vue de la Déesse majestueusement assise sur son trône de fleurs de lotus, la jeune fille se prosterna le front contre terre.

Bodhisattva qui l'aimait bien, lui dit qu'elle pouvait rester avec eux et partager avec frère Sudhana la grotte de bruits des marées. Celle-ci passa à la légende sous le nom de "grotte de Sudhana et de la fille Dragon."
Depuis lors, la fille du Roi Dragon vécut auprès de la Déesse Bodhisattva. Le roi son père qui avait regretté sa colère vint souvent la supplier de rentrer.

Mais son coeur s'était désormais attaché au paysage du mont du Pèlerinage bouddhique, si bien qu'elle ne désirait plus retourner dans le Palais sous la mer.

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