La légende de l'Empereur de jade et de la mère des dragons


On raconte qu'un jour l'Empereur Céleste de Jade, las de diriger les affaires d'Etat, se mit à passer son temps à se distraire dans les cours de ses favorites et concubines, causant ainsi au monde beaucoup de misères.

Les digues de la Voie lactée, rompues restaient à l'abandon, pas de pluie au sud du Yangzi, les terres souffraient de la sécheresse, mais aucun esprit du Ciel ne s'occupait de rien. Les plantes partout étaient fanées, les champs dévastés et l'eau des rivières et des gouffres épuisée, partout on ne voyait que cadavres de gens morts de faim.

Heureusement, un Dragon Noir, plein de sympathie pour les humains, se proposa de restaurer les digues de la Voie lactée durant la journée et déchaîna des pluies bienfaisantes pendant la nuit. Immédiatement, la terre reprit vie, les paysans se remirent à cultiver les champs et dans tout le pays la joie régna.

Mais l'Empereur Céleste de Jade, tyrannique, considéra que le Dragon Noir s'était conduit en "traître" et le fit couper en morceau. Le corps et la têtes sanglants du pauvre Dragon tombèrent sur le sommet du mont Baishui de la chaîne de montagne Kuocang.

Quand ils touchèrent terre, un bruit de tonnerre gronda suivi d'un éclair rouge, et jaillirent de la blessure sanglante du corps du Dragon trois oeufs multicolores, qui roulèrent dans notre monde d'ici-bas. Ils traversèrent des forêts, passèrent des prés, pour finalement arriver devant une perdrix femelle. Ils supplièrent l'oiseau de les couver. Mais ce dernier qui ne voulait même pas couver ses propres oeufs, leur opposa un refus catégorique et s'envola en battant des ailes.

Les oeufs multicolores continèrent leur chemin. On ne sait pas au bout de combien de jours, ni après avoir parcouru combien de chemin, et avoir été combien de fois refusés, ils tombèrent enfin dans un petit ruisseau au pied du mont Baishui. Ce ruisseau clair et limpide se trouvait au fond d'une forêt et d'une vallée profonde.
Emportés par le courant, les trois oeufs de Dragon flottèrent jusqu'à un saule, sous l'ombrage duquel une jeune vache était à se désaltérer. Ravis, les oeufs se pressèrent devant la bouche de l'animal dans l'intention de profiter de son ventre pour se faire couver. Mais la vache but sans jamais desserrer ses mâchoires. Et quand elle eut étanché sa soif, elle s'en alla en agitant la queue.

Malgré tous ces échecs, les trois oeufs multicolores n'avaient pas perdu espoir, et continuèrent à rouler. Ils flottèrent de l'été à l'automne, de l'hiver au printemps. Un jour, ils furent emportés dans une rivière au bord de laquelle une jeune fille était en train de laver du linge.
  Ce fut une joie inattendue pour eux. Ils se mirent à tourner en tous sens devant l'adolescente. Celle-ci qui n'avait jamais vu de si jolis oeufs, les retira de l'eau pour les admirer de plus près. Ce faisant, elle les posa prudemment sur un rocher afin de les emporter plus tard chez elle. Mais chose bizarre, les oeufs ne restèrent pas posés sur le rocher.

Une fois qu'elle les eut déposés sur la pierre, ils se mirent à tourner puis roulèrent de nouveau vers l'eau courante. Elle les mis donc dans un panier de bambou, mais les mailles de celui-ci étaient trop grandes pour retenir ces oeufs tout petits.

Elle les plaça dans sa poche, mais les en retira tout de suite de peur de les casser. En désespoir de cause, elle décida enfin de les placer dans sa bouche; les oeufs roulèrent alors tout droit dans son ventre. Elle sentit tout de suite la tête lui tourner, et une nausée la saisir. En même temps, elle entrevit un Dragon Noir sans tête qui s'avançait vers elle en lui racontant son histoire et la suppliait de couver ses trois fils-Dragons qui seraient capables de mettre fin à la sécheresse du monde et de sauver le peuple de la misère...

Le Dragon disparu, la jeune fille eut l'impression d'avoir vécu un cauchemar. Revenue à elle, elle ne savait plus si elle avait rêvé ou si tout cela était bien arrivé. Quelque chose d'étrange commença à bouger dans son ventre comme un serpent, un feu lui brûla les entrailles.

Ensuite, sa morphologie changea et son ventre se fit de plus en plus gros. Au lieu de manger, elle n'avait envie que de boire de l'eau. Au début, elle n'en but que pots après pots, mais peu à peu elle dut en boire des jarres et des jarres pour étancher sa soif.

Finalement, cela même ne suffisait plus. Quelquefois, ne se tenant plus de soif, elle se rendait au bord du ruisseau durant la nuit et buvait presque la moitié du ruisseau à l'insu des autres. Le bruit que la jeune fille non mariée était enceinte se répandit très vite dans son village. Le père, incapable de pardonner cela à sa fille, la battit pour la forcer à révéler le nom du coupable de cette affaire; la mère toute honteuse ne faisait que pleurer jour et nuit. La jeune fille eut beau expliquer ce qui s'était passé, personne ne la crut.

Son ventre se gonflait, et le moment d'accoucher allait, semblait-il, bientôt arriver. Le père enferma sa fille dans un grenier, et attendit l'arrivée du nouveau-né pour le noyer dans l'eau bouillante.

Mais tois ans et demi passèrent et elle n'avait toujours pas accouché. C'était vraiment une chose bizarre. les parents étaient très inquiets. Par malheur, cette année-là l'Empereur Céleste de Jade interdit aux esprits de faire tomber la pluie dans cette région. Les champs étaient dévastés, et les paysans vivaient dans une angoisse constante.

Le bruit courait que la jeune fille était un démon qui avait offensé le Ciel, et que c'était pour cela qu'une telle punition frappait les villageois. Alors, les hobereaux, les sorciers et les sorcières allèrent à plusieurs reprises chez cette famille et ordonnèrent au père de mettre un terme à la vie de sa fille, faute de quoi on allait brûler leur maison et les chasser du village.

Le père affolé, ne sachant plus quoi faire, finit par décider de livrer sa fille au chef du clan familial. Elle allait donc mourir d'un moment à l'autre. La mère, qui éprouvait une affection profonde pour son enfant, monta au grenier en l'absence de son mari et informa sa fille du malheur.

Celle-ci, pour ne pas compromettre ses parents et les voisins du village décida de quitter son pays natal pour bien élever ses fils-Dragons. C'était la seule issue qui lui restait.

La scène de séparation fut déchirante: La mère serra sa fille dans ses bras, elles fondirent toutes deux en larmes. A la fin, la fille s'agenouilla devant sa mère, disant :
- Maman, cette affaire ne présage rien de bon. Et je ne sais pas si nous pourrons nous revoir. Je vous supplie, si c'est possible, de venir me voir un jour; comme ça, je mourrai sans aucun regret.
Sa mère la releva en essuyant ses larmes qui coulaient comme une fontaine intarissable.
"Bang... bang... bang..." Un bruit de gong se fit entendre au loin, mêlé des cris rauques du chef de clan, qui était en train de rassembler les villageois devant le temple. La vie de la fille était menacée, il ne fallait plus perdre de temps.

En titubant, elles descendirent du grenier. La mère se précipita vers le buffet, d'où elle sortit un sachet de graines de colza, qu'elle versa dans un tube de bambou. Elle le donna à sa fille en lui recommandant :
- Mon enfant, va-t'en vivre dans l'est. Ce tube pourra te servir de canne. Là où tu sèmeras ces graines, il poussera des fleurs jaunes l'année suivante, qui pourront me conduire jusqu'à toi.
Il faisait alors très sombre. La lune s'était cachée derrière des nuages et le vent hurlait. A travers les larmes, la mère suivit des yeux sa fille jusqu'à ce qu'elle eût disparu dans l'obscurité.
Les bruits de gong se firent de plus en plus pressants et des lumières s'approchèrent peu à peu. Le chef du clan, les hobereaux du village, les sorciers et les sorcières se ruèrent vers la maison de la "criminelle"...

Après avoir quitté son village, la jeune fille se dirigea tout droit vers l'est le long du ruisseau. Elle marcha des jours et des nuits, escalada de nombreuses montagnes et collines, franchit d'innombrables torrents encaissés, connut beaucoup d'aventures.
  Appuyée sur la canne que sa mère lui avait donnée, elle arriva d'un pas chancelant devant le rocher Crête de Coq de la montagne fantastique Xiandou. La canne de la jeune fille était trouée à son extrémité, les graines avaient été semées tout au long de sa route.

Ayant longtemps marché au soleil, brûlée par la chaleur du rocher, la jeune fille mourait de soif, elle avait l'impression que ses entrailles étaient déchirées. Mais faute de pluie, les ruisseaux étaient à sec et il était impossible de trouver une goutte d'eau. elle tomba au pied du rocher Crête de Coq, et perdit connaissance.
Ce rocher-là, haut de mille pieds, est un escarpement de falaise. A son sommet, il y a une grotte pittoresque dans laquelle coule toute l'année un ruisseau clair dont l'eau filtre à travers les fentes des rochers, et nourrit ainsi les plantes de la montagne. C'est pourquoi les herbes folles poussent dru au milieu des pierres et les fleurs des champs exhalent un doux parfum...
A ce moment, la jeune fille, qui était tombée au milieu des herbes, la face contre terre, se sentit envahie par une odeur de terre humide. Peu à peu les crevasses de ses lèvres se fermèrent, sa langue raidie retrouva sa souplesse, elle reprit connaissance.

Elle se redressa lentement, leva la tête, et vit des gouttes d'eau tomber le long des fentes des rochers; elle dressa l'oreille, et entendit un ruisseau gazouiller. L'eau, c'était la vie ! Dès lors, les forces lui revinrent. Elle allait faire tous ses efforts pour trouver la source du ruisseau. Mais le rocher Crête de Coq est une falaise escarpée, inaccessible même aux oiseaux et aux singes.

Une fois décidée, la fille ne voulait cependant pas reculer. S'aidant du lierre et des arbres, elle parvint enfin au sommet du rocher et les rocs qu'elle gravissait se changèrent en marches. Sur la cime, un doux spectacle s'offrit à ses yeux. Au milieu des sapins se trouvait une grotte d'où coulait une eau ruisselante. Elle s'y dirigea et but à pleines gorgées. Son corps en fut tout pénétré de fraîcheur; que c'était agréable !

Depuis lors, elle vécut dans la grotte, buvant la rosée et l'eau de la fontaine le jour, se laissant vivifier par la nature la nuit. Le temps fila, déjà un an avait passé. Après le départ de sa fille, la mère ne passa pas un jour sans pleurer, si bien qu'elle tomba malade; ses yeux devinrent aveugles et ses oreilles sourdes. Mais elle n'avait pas oublié les mots que sa fille lui avait dits en partant. Elle fit part de ses pensées à son mari. Celui-ci, le coeur toujours tenaillé par le regret, aurait bien voulu aller retrouver sa fille et lui demander pardon. Mais le monde est si vaste, où pouvait-elle bien se trouver ?

Soudain une idée vint à sa femme. Elle se rappela le tube qu'elle avait donné à sa fille :
- Oui, tu n'as qu'à suivre les chemins où poussent des fleurs jaunes de colza; comme ça tu pourras certainement la retrouver.
Le lendemain matin, le père, emportant du pain pour se nourrir, se mit en route. comme le lui avait dit sa femme, des fleurs jaunes parsemées sur la route formaient effectivement devant lui un ruban coloré qui serpentait.
Guidé par ce ruban jaune, le vieil homme arriva enfin à l'endroit fantastique du rocher Crête de Coq. Mais le ruban jaune se terminait là, et devant lui, se dressait une falaise.

Tandis qu'il hésitait, quelque chose de couleur jaune attira son regard. Au milieu des roches s'épanouissaient des fleurs de colza, à côté desquelles des marches montaient jusqu'en haut comme une échelle.
Etait-ce un chemin que sa fille avait ouvert pour lui ? Il monta péniblement jusqu'au sommet de la montagne. Au fond du rocher, des fleurs de colza s'ouvraient et dansaient au vent.
"Ah! ma fille est sûrement là !" se dit-il. Transporté de joie, il cria à haute voix:
- Ma fille !
- Oui, mon père..., lui répondit une voix enthousiaste, venue d'entre les colzas.
I
"BOUM...", Dans un bruit assourdissant, la terre et la montagne se mirent à trembler, le ciel devint sombre. Soudain, un éclair rouge brilla; il en sortit un jeune Dragon pourpre qui s'envola vers le ciel; puis , un autre Dragon bleu s'élança en l'air dans une lumière bleue, et s'envola dans la direction de la mer Orientale... La jeune fille assise sur une pierre n'avait pu contenir sa joie en entendant son père. Au moment où elle avait ouvert la bouche, les deux Dragons s'étaient échappés de son corps. Elle se sentit aussitôt le ventre soulagé.
Puis, quand elle appela pour la deuxième fois son père, un Dragon aux écailles d'argent s'élança hors de sa bouche. Très heureuxe, la jeune mère sourit, mais par inadvertance, ses dents se serrèrent, si bien qu'elle coupa une partie de la queue du Dragon. Le petit, triste de quitter sa mère, se retournait sans cesse avant de prendre son essor.
-Va-t'en dans la mer, mon enfant ! N'oublie pas d'apporter des pluies bienfaisantes au peuple chaque année et vient revoir ta mère et ta grand-mère de temps en temps...
Le petit Dragon d'argent fit signe de la tête comme s'il avait compris les paroles de sa mère, puis s'envola vers le ciel.

A ce moment-là, revenu de sa terreur, le père se précipita vers la grotte, et vit que sa fille, les mains jointes, était déjà montée au ciel. Quels vifs regrets il éprouvait ! Il avait enfin compris que c'était dans les intérêts du peuple que sa fille avait enduré toutes ces humiliations et ces souffrances !

Les trois Dragons couvés pendant plusieurs années disposaient de pouvoir illimités. partout où l'Empereur Céleste de Jade interdisait la pluie, ils luttaient, et le bruit du tonnerre, c'étaient leurs cris d'indignations dans le combat. Désormais, l'Empereur Céleste de Jade eut encore plus de peine à interdire la pluie.

Le Dragon d'argent sans queue revenait chaque année le jour de la fête des morts pour voir sa mère et sa grand-mère sans jamais oublier d'appporter au peuple des pluies bienfaisantes. Désormais, cette région ne cessait de connaître des moissons abondantes. Pour commémorer la jeune Mère-Dragon et exprimer leur reconnaissance envers le Dragon d'argent, les villageois appelaient "Ruisseau des Dragons" le ruisseau où la jeune fille avait trouvé les oeufs et édifièrent un temple en son honneur au pied du rocher Crête de Coq. C'est pourquoi chaque année, le 15 de la première lune, on organise toutes sortes d'activités au sujet du Dragon pour attirer le bonheur. 

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