La légende du moine et du singe du temple Lingyin


Le printemps, c'est la plus belle saison au bord du lac de l'Ouest. La tendre verdure des saules et des peupliers se marie avec les bouquets roses des pêchers en fleur.
  Les pélerins, venus de tous les coins du pays, ne cessent d'affluer. A la porte du Temple Lingyin surtout l'atmosphère est très animée: C'est une sorte de symphonie de rires, de cris et de bruits divers.

Un jour, pour la Fête de Quingming, le magistrat de Hangzhou, désirant lui aussi faire une excursion au bord du lac de l'Ouest, quitta en grande pompe son domicile pour se diriger vers le Temple Lingyin.

Au pied du "Pic volant" se pressait une foule de gens, il ordonna alors à ses serviteurs de lui frayer un passage pour voir de quoi il s'agissait. Quand il eut réussi à approcher, à sa grande surprise, il vit un moine et un singe en train de jouer aux échecs. Il lui vint aussitôt l'envie de faire aussi une partie.

Le magistrat était un amateur d'échecs qui, grisé par les louanges des flatteurs, s'estimait supérieur à tous les joueurs contemporains. Dès qu'il voyait les autres jouer, il ne tenait plus, il fallait qu'il fasse une partie. Aussi, chassant le singe d'un coup de pied, s'assit-il en face du moine, voulant faire montre de son "talent" aux yeux du public.

Le moine, en homme avisé, sachant que tous les magistrats avaient un amour propre très chatouilleux, le laissa gagner exprès en sacrifiant quelques pièces. Mais le magistrat, qui en réalité s'y connaissait assez mal, fut enchanté de passer pour un joueur invincible.

Très content de lui, il éclatat d'un rire plein de dérision en quittant son siège. Devant l'attitude orgueilleuse du magistrat, le moine songea:
"Pour ménager ton amour-propre, je t'ai exprès laissé gagner la partie, mais je n'aurais pas pensé que tu te moquerais de moi!"
Alors, il se mit lui aussi à rire aux éclats...


Stupéfait, le magistrat s'écria:
- Moine insensé, tu as perdu la partie, comment as-tu encore le coeur à rire ? Le moine lui répondit:
- Vénérable magistrat, à brave, brave et demi ! Voulez-vous faire une partie avec mon maître ?
Le magistrat se hâta de lui demander:
- Où est-il ? Aurait-il l'audace de jouer avec moi ?
- Le voilà, répondit le moine en désignant du doigt le Pic volant.
Levant la tête, le magistrat vit un singe en train de batifoler sur un arbre, puis dit avec indifférence:
- Eh bien, c'est un singe ! je n'aurais jamais cru cela !
Bon, dis-lui de descendre pour faire une partie avec moi !
Le moine se tourna vers le pic et frappa dans ses mains, alors, d'un seul bond, le singe se trouva auprès de lui, fixant son adversaire orgueilleux de ses yeux étincelants.

Sur un signe du moine, le singe prit sa place et se mit à jouer avec le magistrat qui n'était pas de force à se mesurer avec l'animal. Le jeu à peine commencé, le magistrat se trouva en mauvaise position et rougit jusqu'aux oreilles.
A voir sa mine défaite, les spectateurs ne purent s'empêcher de rire à la dérobée. Le magistrat, très vexé, déclara alors en se raclant la gorge:
- Cette partie ne compte pas ! il faut en recommencer une autre, le singe n'a pas respecté les règles !
A la fin de la deuxième partie, le magistrat avait encore perdu. La sueur coulait sur son front; tantôt il pâlissait et tantôt rougissait.
Voyant que le magistrat, qui s'estimait le premier joueur du monde, avait été vaincu encore une fois par le singe, les assistants éclatèrent tous de rire en même temps.


A perdre la face ainsi en public, le magistrat, livide, devint fou de rage, il se leva promptement, jeta les pièces et le damier par terre en glapissant.
- Attrapez vite cet animal! Fouettez-le sans merci! Sur l'ordre du magistrat; les serviteurs s'élancèrent tous vers le singe. Le moine comprenant qu'il allait arriver malheur à la bête, lui donna une petite tape sur la tête en murmurant "Sauve-toi vite !".
Obéissant à l'ordre de son maître, le singe fila comme une flèche sur le sommet du pic en poussant des cris perçants. Les serviteurs le poursuivirent jusque-là, mais en vain. Le singe bondissait avec agilité d'arbre en arbre, les serviteurs ne pouvaient que le regarder de loin, impossible de l'attraper.
Après un long moment dépensé en vains efforts, le magistrat, resté au pied du mont, tout tremblant de colère, gronda:
- Mettez le feu aux arbres ! Brûlez-le vivant !

Le feu à peine allumé, le singe sauta prestement de l'arbre et se glissa dans une caverne avec un cri mélancolique. Les serviteurs se hâtèrent de le poursuivre jusque dans la caverne, mais ils n'y trouvèrent rien que des parois de pierre. Ils en sortirent tout penauds, disant que le singe avait disparu.

Mais le magistrat ne les crut pas, il voulut aller voir par lui-même. Comme il pénétrait dans la caverne, il lui sembla apercevoir le singe et se jeta de toutes ses forces sur lui. Mais au lieu de saisir l'animal, il alla se casser le nez en se heurtant à la pierre.

Le magistrat, ne sachant plus que faire, dut s'en retourner piteusement chez lui, couvrant de ses mains son nez cassé. Depuis qu'il s'était réfugié dans la caverne, le singe ne se montrait que lorsque le moine l'appelait en frappant dans ses mains. Mais quelque temps après, le moine mourut, et le singe disparut totalement en même temps que son maître.

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