La légende chinoise de Bao Chu et de la disparition du soleil


Il y a des années et des années, au pied de la colline Baoshi se trouvait un village situé sur la rive du Lac de l'Ouest où habitait un beau couple, le mari s'appelait Liu Chun, et sa femme Hui Niang; l'homme travaillait aux champs et la femme restait à la maison où elle filait la soie.
  Comme ils étaient laborieux et économes, la famille avait une vie aisée. Hui Niang se trouva enceinte après cinq ans de mariage, ce qui la remplit de joie. Leurs voisins faisaient leur éloge donnant en exemple leur couple harmonieux.

Un matin, quand l'aube eut apparu à l'orient, un soleil brillant se leva, alors Liu Chun, la houe sur l'épaule, s'en alla travailler aux champs. Sa femme ayant bien préparé tous les accessoires, s'assit devant son métier à tisser pour se mettre à filer la soie. Tout à coup, un vent furieux se déchaîna; des nuages d'un noir d'encre s'amoncelèrent. Le soleil disparut en un clin d'oeil.

La tempête calmée, le soleil ne revint pas. Le monde était enveloppé de froides ténèbres, les feuilles tombaient; les fleurs se fanaient; légumes et céréales ne poussaient plus; les démons firent leur apparition, jetant le trouble dans le pays. L'angoisse étreignait les coeurs, et on n'avait plus de quoi vivre!

Où était donc passé le soleil ? Un seul homme pouvait le savoir, c'était un vieillard de cent quatre-vingt ans qui vivait au pied de la colline Baoshi. Il dit :
- Au fond de la mer de l'Est habite un Roi des Démons, qui a un grand nombre de petits diables à son service. Comme ils commettent leurs forfaits dans l'obscurité, ils ont grand peur du soleil et ont conçu une haine mortelle à son égard; certainement, le soleil a été enlevé par le Roi des Démons.


Liu Chun, comme tout le monde, souffrait de vivre dans les ténèbres. Il se rendit chez ses voisins à tâtons. On l'accueillit en lui disant:
- Liu Chun, sans soleil, nous allons mourir de froid! Et un autre se plaignit:
- Liu Chun, sans soleil, nous allons mourir de faim!
Ces paroles et le souvenir des souffrances qu'il avait lui-même connues lui serrèrent le coeur. De retour chez lui, il déclara à sa femme:
- Hui Niang! sans soleil, nous allons tous périr! J'ai décidé d'aller à la recherche du soleil!
Hui Niang, après réflexion, répondit:
- Fais comme tu voudras, je ne chercherai pas à te retenir à mes côtés. Je peux faire marcher la maison sans toi. Si tu peux ramener le soleil, cela rendra le bonheur au monde!
Hui Niang coupa une poignée de cheveux de sa tête, et en les mêlant avec du chanvre, en fit une paire de sandales pour son mari; elle lui confectionna aussi une bonne veste ouatée. Quand elle le conduisit à la porte, dans un éclat de lumière apparut un phoenix d'or. Il se posa sur l'épaule de Liu Chun qui le caressa tout doucement de la main.
- Phoenix, phoenix, lui demanda-t-il, voulez-vous m'accompagner dans ma recherche du soleil ?
Le phoenix tourna les yeux vers lui, dressa la tête et chanta en signe d'acquiescement. Liu Chun prit les mains de son épouse dans les siennes et lui fit ses recommandations:
- Hui Niang, je pars à la recherche du soleil; si je ne parviens pas à le retrouver, je ne reviendrai pas; si je meurs en route, j'espère devenir une étoile qui indiquera à ceux qui prendront ma relève le chemin pour arriver au but...


Liu Chun se mit en route avec le phoenix. Chaque jour, après son départ, Hui Niang grimpait au sommet de la colline Baoshi à tâtons pour regarder vers l'Est dans l'espoir de voir le soleil se lever.
  Jour après jour, son espérance fut déçue. Le temps passait. On vivait toujours enveloppé de ténèbres, sans apercevoir le moindre rayon de soleil. Un jour, Hui Niang aperçut une étoile brillante qui s'envolait d'un trait de la terre vers le ciel; un moment après, le phoenix revint, et se tint tête basse à ses pieds. A sa vue, Hui Niang comprit que son mari était mort en route; sa gorge se serra, et elle tomba évanouie.

Quand elle reprit connaissance, l'enfant vint au monde. Celui-ci était un enfant magique; au premier coup de vent qui le toucha, il savait parler, au deuxième, il pouvait courir, au troisième, il était devenu un homme d'une taille de six mètres! Transportée de joie, Hui Niang donna à son fils le nom de : "Bao Chu", Défenseur du Bien.

De retour chez elle, Hui Niang, à la vue de son fils, pensa à son mari et se mit à pleurer à chaudes larmes. Bao Chu, étonné, lui demanda pourquoi elle avait tant de chagrin. Hui Niang ne put s'empêcher de lui raconter l'histoire de son père qui était mort en route dans sa recherche du soleil. Qund elle eut terminé, Bao Chu lui demanda:
- Maman, laissez-moi aller achever la tâche de mon père!

Hésitante, Hui Niang ne pouvait se résigner à le laisser partir. Mais le pays, privé de soleil, connaissait de terribles souffrances, il fallait absolument le sauver. A cette pensée, elle hocha la tête en signe d'assentiment.
Hui Niang coupa de nouveau une poignée de cheveux de sa tête et en fit une paire de sandales, et elle confectionna pour son fils une grande veste. A la porte, le phoenix d'or attendait celui-ci et vint se poser sur son épaule. Hui Niang, indiquant l'étoile qui brillait en haut du ciel, dit à son fils :
- Cette étoile est une incarnation de ton père qui t'indique ainsi la voie pour atteindre ton but. Suis cette étoile et tu ne t'égareras pas en route.
Bao Chu acquiesça. puis, Hui Niang lui présenta le phoenix:
- Il accompagnait ton père pour aller à la recherche du soleil; il serait bon qu'il t'accompagne aussi!
Bao Chu fit signe qu'il acceptait et ajouta:
- Maman, je dois absolument entreprendre ce grand voyage, mais vous, vous devez me promettre de ne pas verser de larmes après mon départ. Vos pleurs amolliraient mon coeur et je perdrais ma force et mon courage pour entreprendre ma grande quête du soleil.


Les voisins, ayant appris la nouvelle du départ de Bao Chu, vinrent lui faire leurs adieux. Les uns lui offrirent des habits, les autres des provisions de bouche et ils l'accompagnèrent un grand bout de chemin. Le phoenix à ses côtés, Bao Chu se dirigea vers l'est, guidé par l'étoile brillante. Malgré les ténèbres et le froid, il marcha, marcha jour et nuit, par des sentiers tortueux, franchissant une montagne après l'autre.
Quand il eut escaladé dix-huit escarpements et traversé dix-neuf vallées, les épines et les ronces avaient griffé sa chair et mis ses vêtements en lambeaux; le froid le pénétrait de plus en plus.

Un jour, Bao Chu entra dans un village et se vit immédiatement entouré par les habitants qui regardaient avec curiosité cet inconnu. Quand ils apprirent que Bao Chu était un nouveau brave qui allait à la recherche du soleil, ils furent très touchés et lui firent mille recommandations. Et comme la veste de Bao Chu ne pouvait plus le protéger des intempéries, chacun coupa un morceau de tissu de sa propre veste et on lui fit ainsi un "habit des cent familles" pour qu'il ait bien chaud. Réconforté, Bao Chu leur dit adieu et reprit sa route.

Il continua son voyage, franchissant fleuves et montagnes. Un jour, il arriva sur la rive d'un fleuve si large qu'un aigle même n'eût pu gagner l'autre rive. L'eau coulait rapide en formant des tourbillons; même une pierre grosse comme une maison n'eût pu s'y tenir debout.

Faisant appel à tout son courage, Bao Chu, après une longue inspiration plongea dans l'eau, les dents serrées, il nagea de toutes ses forces vers l'autre rive. Les vagues le frappaient sur tout le corps, les tourbillons l'enveloppaient, mais il continuait à nager, les yeux fixés sur la rive opposée. Soudain, sous une rafale de vent glacé, l'eau se prit en glace, enserrant Bao Chu et phoenix qui perdirent connaissance...


Grâce à la "veste des cent familles" qu'il portait, le froid ne pouvait pas pénétrer le corps de Bao Chu. Petit à petit, la glace autour de lui fondit, et il se précipita pour prendre le phoenix dans ses bras. Puis, de ses poings serrés il martela la glace. Avec un sourd grondement elle se brisa en morceaux. Une lame de fond enveloppa Bao Chu, et le porta d'un coup sur un large glaçon à la dérive. Ils passèrent de l'un à l'autre et finalement atteignirent l'autre rive. Le phoenix, réchauffé par la chaleur de Bao Chu avait repris connaissance.
  Après la traversée du fleuve, Bao Chu entra dans un village. Bao Chu fut entouré par un cercle de villageois qui ne se sentirent plus de joie à la nouvelle que ce garçon allait chercher le soleil; les épreuves qu'il avait déjà surmontées lui acquirent leur respect et leur admiration. Un grand-père à la barbe grise parla au nom de tous:
- Mon enfant, depuis la disparition du soleil, notre vie est de jour en jour plus misérable, nous n'avons rien de bon à t'offrir. Voici un sac où chacun de nous va mettre une poignée de notre terre arrosée de génération en génération par le sang et la sueur de nos ancêtres. Tu l'emporteras avec toi, il pourra t'être utile dans les difficultés.

Le sac sur son dos, Bao Chu reprit sa route en se guidant toujours sur l'étoile brillante de l'Est. Il marcha, marcha; il franchit quatre-vingt-dix-neuf montagnes, passa quatre-vingt-dix-neuf fleuves à la nage. Enfin, il arriva à un carrefour de trois chemins. Comme l'angoisse d'avoir perdu sa route se peignait sur son visage, une vieille femme apparut et lui demanda:
- Mon enfant, où vas-tu?
- Je vais à la recherche du soleil.
La vieille poursuivit:
- Il est trop loin d'ici! Tu ferais mieux de rentrer chez toi le plus tôt possible!
Bao Chu répliqua aussitôt:
- Si loin qu'il soit, quelles que soient les difficultés, je veux le retrouver. Sans lui, je ne rentrerai jamais à la maison.
Le voyant si résolu, la femme indiqua de la main le chemin de droite et dit:
- Cette voie peut te conduire jusque là où se trouve le soleil. Tout près d'ici, il y a un village, tu pourras t'y reposer un peu.


Tandis qu'ils échangeaient ces paroles, le phoenix se lança de toutes ses forces contre la vieille femme: il la frappa avec ses ailes, griffa ses joues, et piqua ses yeux. Trouvant que le phoenix offensait l'inconnue, Bao Chu le chassa, remercia la femme et s'engagea dans l'embranchement de droite.
  Mais le phoenix d'or avait volé en avant et se mit à tourner autour de Bao Chu pour l'empêcher de continuer. Bao Chu le chassa de nouveau et reprit sa marche. Plus il avançait, plus la route était plate et unie; il n'y avait ni vent, ni sable, ni ronce, ni escarpement. Bao Chu s'en étonna même un peu.

Bientôt il entra dans un village. Là les maisons étaient spacieuses, les habitants bien nourris, les femmes charmantes. Les villageois parurent très étonnés quand ils apprirent que Bao Chu était à la recherche du soleil, mais ils l'entourèrent quand même, chantèrent, dansèrent, portant aux nues Bao Chu, le héros sans peur.

En un clin d'oeil, l'un apporta du vin, l'autre chercha des mets, et on s'empressa de l'inviter au festin. Pourtant Bao Chu ne se sentait pas à l'aise, il se disait :
"J'ai passé par pas mal de villages, ceux-ci étaient très pauvres, les gens n'avaient pas de quoi manger ni se vêtir; pourquoi ce village-ci est-il tellement riche?"

Bao Chu, son bol de vin à la main, restait immobile et préoccupé, lorsque le phoenix passa soudain au dessus de sa tête et fit tomber une sandale dans le bol où le vin prit feu aussitôt. A la vue de cette sandale qui, comme les siennes, était faite avec des cheveux et du chanvre, il comprit tout de suite que c'était celle que son père portait dans sa quête du soleil.

C'était clair, c'était là que son père avait disparu. Bao Chu poussa un grand cri et jeta son bol de vin par terre. Village et villageois s'évanouirent à l'instant, et l'on ne voyait plus que des démons aux yeux bleus qui s'enfuyaient en tous sens.
Bao Chu tourna alors les talons et, revenu au carrefour, prit l'embranchement de gauche.


Furieux de leur échec, les démons se transformèrent en montagnes escarpées pour lui barrer la route; Bao Chu, sans s'effrayer, les franchissait l'une après l'autre. Les démons se transformèrent en fleuves immenses, Bao Chu les passait à la nage. Les démons auraient voulu geler Bao Chu à mort, en vain; ils tentèrent enfin de l'emmener dans un village magique où l'on devait l'assassiner, ce fut un nouvel échec.
  Saisis d'effroi, ils déchaînèrent un vent formidable qui les emporta tous ensemble au pied de la colline Baoshi. Là, pour tromper Hui Niang, ils lui racontaient que Bao Chu était mort en tombant d'un escarpement, ou qu'il s'était noyé dans un fleuve, afin de faire couler ses larmes et par là ôter tout courage à Bao Chu. Hui Niang résistait fermement, serrait les dents et retenait ses larmes.

Depuis le départ de son fils, Hui Niang ne vivait que dans l'espoir de son retour. Chaque jour, elle montait au sommet du Baoshi avec ses compatriotes et regardait au loin vers l'Est. Chaque jour elle y apportait une pierre plate qu'elle mettait sous ses pieds pour voir un peu plus loin. On ne sait combien de mois et d'années s'écoulèrent ainsi; les pierres sous ses pieds s'élevèrent en une haute terrasse, mais l'Est restait toujours ténébreux.

Cependant Bao Chu continuait son chemin et franchissait des montagnes et des fleuves innombrables. Un jour, après avoir passé une haute montagne qui se perdait dans les nuages, il entendit le bruit des vagues, il était donc arrivé tout près de la mer orientale.

Une fois sur le rivage, il se demanda comment chercher le soleil dans cette mer immense, et comment la traverser? Soudain il sentit peser sur son dos le sac de terre que des villageois lui avait donné. Pour s'alléger, il le vida dans la mer; un coup de vent emporta la terre et l'éparpilla sur les eaux; aussitôt des îles apparurent sur la mer.

Fou de joie, Bao Chu plongea, gagna à la nage une île après l'autre, se dirigeant vers le milieu de la mer. Il nagea, plongea, et finit par trouver le soleil caché dans une grotte sous la mer par le Roi des Démons. Il s'approcha de l'entrée de la grotte et vit que le Roi des Démons l'attendait déjà avec ses diables.


Ils s'affrontèrent dans un combat acharné: tantôt ils se battaient montant du fond de la mer à la surface, tantôt en plongeant de la surface au fond dans un bouillonnement de vagues gigantesques.
  Petit à petit, le Roi des Démons n'arrivait plus à répondre aux attaques de Bao Chu, comme il était tout étourdi par les coups, le phoenix en profita pour lui crever un oeil de son bec aigu. Fou de douleur, il hurla en portant ses mains à son oeil. Le Phoenix profita de l'occasion pour lui crever l'autre oeil. Alors le Roi des Démons alla heurter de la tête le rocher qui fermait la grotte et rendit l'âme. Aussitôt les petits diables prirent la fuite en un clin d'oeil.

Sans reprendre souffle, Bao Chu se précipita vers la grotte et enleva la pierre placée devant l'entrée, à l'intérieur il y trouva le soleil. Il nagea alors vers la surface de la mer portant le soleil avec lui et usa ainsi ses dernières forces. Il nagea, nagea, et, dans son épuisement, réussit seulement à faire émerger la moitié du soleil de la mer.

Comme il ne pouvait l'en faire sortir totalement, le phoenix vint à son aide et mit le soleil sur son dos tout en nageant avec vigueur. Le disque complet du soleil apparut alors à la surface de la mer et monta dans le ciel.
Ce jour-là, Hui Niang regardait comme tous les jours vers l'Est avec ses compagnons au sommet de la colline Baoshi pour guetter le retour du soleil. Les démons cherchaient encore à la tromper quand on vit soudain des rayons colorer les nuages à l'horizon, puis, majestueusement, le soleil se leva.

A ce moment le chant du phoenix se fit entendre au-dessus de la tête de Hui Niang, il revenait annoncer la nouvelle. Il planait au-dessus du sommet, voletait :
"Ah, le soleil se lève, le soleil se lève!"
Hui Niang et tous les gens autour d'elle poussèrent des cris de joie qui firent trembler la terre. Le soleil dardant ses rayons et les grondements de la foule firent peur aux diables qui s'enfuirent en tous sens et furent transformés en rochers. On peut les voir aujourd'hui encore, dispersés sur le sommet.

Chaque matin, le soleil se levait à l'est et, le soir, se couchait à l'ouest. Les hommes menaient de nouveau une vie heureuse dans sa lumière. Aujourd'hui encore, quand le ciel commence à rougir à l'orient, on peut voir dans cette direction une étoile brillante, c'est Liu Chun, on l'appelle "l'Etoile du matin. Au même moment on aperçoit des nuages or et pourpre à l'horizon; on se souvient alors du phoenix qui porta le soleil avec ses ailes.

Mais, le courageux Bao Chu ne revint jamais. En souvenir de lui, on a construit au sommet de la colline Baoshi une petite pagode qui porte son nom et un kiosque hexagonal pour le phoenix; c'est aujourd'hui la "pagode Bao Shu" et le "pavillon Phoenix".

Quant à la terrasse construite par Hui Niang et ses voisins pour voir le soleil se lever, on l'appelle "Chu Yang Tai", la terrasse du soleil levant.

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