La légende du forgeron Zhang Xiaoquan et des serpents noirs

Il y avait une fois un forgeron du nom de Zhang Xiaoquan qui, ayant vexé un grand despote local, se vit obligé de quitter son pays natal; il conduisit alors ses trois fils à Hangzhou pour s'y établir. 

Les membres de la famille de Zhang Xiaoquan étaient tous forgerons de père en fils. Lui même avait commencé à exercer le métier familial à l'âge de seize ans. Doté d'un esprit vif et d'une grande habileté manuelle, il se montra rapidement très capable, qu'il s'agît de la fonte, de l'affinage ou du forgeage, il surpassa même son père dans ce dernier domaine.

Zhang Xiaoquan avait une autre corde à son arc: c'était un excellent nageur. Sa mère, le dernier mois de sa grossesse, faisait la lessive au bord du ruisseau, quand elle mit au monde son bébé sans s'en apercevoir et le laissa tomber dans l'eau. L'enfant dut donc nager dès son premier souffle, c'est pourquoi on l'appela Zhang Xiaoquan, Petit Ruisseau. A l'âge de deux ans, il jouait déjà au bord de l'eau, à quatre ans, il savait nager, et à dix ans, il pouvait plonger longtemps comme une vraie loutre de rivière.

Une fois arrivé à Hangzhou, Zhang Xiaoquan et ses trois fils se bâtirent une cabane de chaume dans la rue Daijing et ouvrirent une forge. La rue Daijing, qui se trouvait au pied de la colline Chenghuangshan, était une rue très animée. Le nouveau forgeron était très aimable avec les clients et il présentait de nouvelles créations, aussi se fit-il rapidement une grosse clientèle.
Quelque temps plus tard, on trouva que le soc fabriqué par lui était très efficace pour labourer la terre, sa houe légère pour la creuser et son couteau très tranchant. On disait avec admiration :
"Zhang Xiaoquan est vraiment un excellent forgeron". Mais personne n'aurait pu penser qu'il était aussi un excellent nageur.

Non loin de la forge, il y avait un puits, grand et profond, donnant une eau fraîche et limpide. On l'appelait "la première source de Wushan". Les habitants des environs buvaient tous l'eau de ce puits. 
 
Un jour, au petit matin, on vint de tous côtés comme de coutume pour puiser de l'eau. Le fils aîné de Zhang Xiaoquan se trouvait là aussi. Un homme tira le premier un seau d'eau: l'eau était sale et puante. Il ne voulut pas y croire et en tira un second; c'était toujours pareil.

"C'est bizarre, se disait-il, hier, l'eau de ce puits était limpide, pourquoi ce changement aujourd'hui?"
On alla trouver un vieillard plus que centenaire qui habitait près du puits pour lui demander si on pouvait expliquer un tel phénomène. Il dit en caressant sa barbe:
- Chers compatriotes, il y a très longtemps, quand j'étais encore enfant, un vieillard m'a dit une fois que ce puits et le fleuve Qiantang communiquaient. Dans le fleuve Qiantang, il y a deux serpents noirs. Ceux-ci descendent une fois tous les mille ans dans le fond de ce puits pour s'accoupler. Alors leur venin salit l'eau. Maintenant, puisque l'eau est sale, c'est peut-être que ces deux serpents sont là.
- Quand vont-ils s'en aller? s'empressait-on de demander.
- C'est difficile à dire; d'après ce que j'ai entendu, il y a mille ans, les deux serpents sont restés à peu près six mois.
C'est paroles inquiétèrent beaucoup les gens, mais le puits était très profond, qui pourrait chasser les deux serpents? On s'interrogeait du regard, mais on ne trouvait pas de moyen.

Cependant, Zhang Xiaoquan attendait sa provision d'eau à la maison; ne voyant pas son fils rentrer, il sortit et s'enfonça dans la foule pour le chercher. Quand son fils le vit arriver, il lui raconta tout ce qui se passait. Zhang Xiaoquan réfléchit un moment et dit en riant:
- C'est bien, cela fait plusieurs années que je n'ai pas nagé, puisqu'il y a des choses étranges dans ce puits, je vais y aller voir.
A ces mots, les gens s'effrayèrent:
"S'il descend, qu'en pourra-t-il advenir?"
Mais on connaissait bien son caractère obstiné, sa volonté inébranlable. S'il avait pris sa décision, personne ne pourrait l'empêcher d'agir. Il n'y avait donc plus rien à dire, il fallait bien le laisser faire.
Zhang Xiaoquan dit alors à l'un de ses voisins:
- Voulez-vous aller m'acheter deux cruches de vin vieux au cabaret?

Puis il demanda à un autre d'acheter un kilo d'arsenic rouge à la pharmacie. Les deux voisins s'empressèrent d'acheter le vin et l'arsenic rouge. Zhang Xiaoquan demanda alors à son fils aîné d'aller chercher un marteau à la forge et mit l'arsenic rouge dans le vin. Il prit une cruche et la vida d'un seul trait, puis il se déshabilla. On vit alors saillir les muscles sur sa poitrine, son dos, ses bras et ses jambes. Il était solide comme un roc.

Dès que son fils arriva avec le marteau, il prit à deux mains l'autre cruche de vin d'arsenic rouge et la versa sur sa tête. Il fut ainsi inondé de vin de la tête aux pieds. Prenant le marteau, il fit quelques pas et descendit dans le puits.

Alors de vives discussions s'élevèrent parmi les assistants. L'un d'eux critiqua le fils aîné de Zhang Xiaoquan:
- Il est si entêté, nous étions incapables de le retenir. Mais toi, son fils, pourquoi ne l'as-tu pas empêché de faire cette folie? Le fils de Zhang Xiaoquan répondit en souriant:
- Soyez tranquilles, il se débrouille très bien dans l'eau.
On se calma quelque peu et on décida de garder le puits à tour de rôle.
Dans le puits, Zhang Xiaoquan se sentit bien dès le début. Grâce au vin d'arsenic rouge, il ne craignait pas le venin du serpent noir. Il se laissa descendre lentement, l'eau était de plus en plus froide. Un bon moment après, il toucha le fond du puits; là il ouvrit bien les yeux et regarda.

Le fond du puits était spacieux, il chercha, mais en vain. Soudain il aperçut dans un recoin deux serpents noirs, gros comme le poignet et enlacés. L'oeil vif et la main preste, Zhang Xiaoquan appliqua trois coups de marteau là où les cous des deux serpents se croisaient, au point sensible. La nuque broyée, ils moururent. Zhang Xiaoquan remonta lentement, le marteau et les deux serpents à la main. Il arriva enfin à la surface.

C'était déjà l'après-midi. Bondissant de joie, les gardiens du puits y firent glisser rapidement une corde pour l'aider à sortir. Zhang Xiaoquan une fois à l'air libre jeta les deux serpents à terre. Un bruit retentit, on s'aperçut alors avec étonnement que ces deux serpents, forgés par mille ans de méditation, s'étaient fait des muscles en acier et une ossature de fer. S'ils n'avaient pas été enlacés, Zhang Xiaoquan n'aurait pas pu trouver le point sensible pour les tuer.

Les deux serpents morts, l'eau du puits redevint limpide et fraîche. On remercia beaucoup le forgeron et on loua sa bravoure.

Zhang Xiaoquan emporta les deux serpents chez lui et, en les regardant, réfléchit tois jours et trois nuits ; soudain, il eut l'idée de créer un nouvel instrument. Il dessina un plan sur le papier et, en s'en inspirant, Zhang Xiaoquan et ses trois fils enfoncèrent un clou dans le croisement des deux cous des serpents, courbèrent leurs queues, puis aplanirent les cous à coups de marteau et les aiguisèrent en lames. Les ciseaux étaient créés. 
 
Avec ces grands ciseaux, il coupa des étoffes; c'était fort commode. En reprenant la forme de ces grands ciseaux, le forgeron et ses fils en fabriquèrent beaucoup de petits.

Auparavant, on ne connaissait pas les ciseaux, on taillait les habits et on coupait les fils avec un couteau. Mais après la création des ciseaux par Zhang Xiaoquan, on les employa toujours pour tailler et couper. Depuis lors, les gens demandèrent beaucoup de ciseaux. Zhang Xiaoquan et ses trois fils furent incapables de répondre à la demande, alors ils embauchèrent de jeunes apprentis. Mais ils étaient encore fort occupés.
Plus tard, Zhang Xiaoquan accrocha les grands ciseaux à la porte de sa forge comme enseigne. Il se spécialisa dans la fabrication des ciseaux. La renommée des ciseaux de Zhang Xiaoquan se répandit à Hangzhou et dans tout le pays.

Lorsque Zhang Xiaoquan vint à mourir, ses trois fils se partagèrent ses biens. Chacun installa une forge avec pour enseigne
"Aux ciseaux de Zhang Xiaoquan".
Les apprentis de Zhang Xiaoquan le surent et se dirent:
"Si les fils peuvent se servir de l'enseigne de leur père, pourquoi pas les apprentis?"
Alors ils accrochèrent aussi la même enseigne.
De génération en génération, se sont perpétuées à Hangzhou beaucoup de boutiques "Aux ciseaux de Zhang Xiaoquan", et tous les ciseaux fabriqués dans cette ville portent la marque des deux serpents.

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