Le conte chinois de Kechuxun


était une fois un jeune homme honnête qui s'appelait Kechuxun. Son père qui avait mené paître des troupeaux pendant toute sa vie pour le propriétaire était épuisé par le travail et il tomba gravement malade. La maladie s'aggrava jour après jour. Pour soigner son père, Kechuxun alla demander le salaire que le propriétaire devait à celui-ci qui avait travaillé 40 ans pour lui. 
 
Chez le propriétaire de troupeaux, la maîtresse roula de gros yeux et compta sur ses doigts devant Kechuxun:
- Ton père a gardé des moutons pour nous pendant 40 ans. Outre les 40 ans de repas qu'il doit nous payer, il a usé encore trois paires de bottes de peaux de boeuf et une robe de peau de mouton. L'année de la tempête de neige, il a laissé geler deux agneaux et l'année de l'inondation, il a perdu une brebis. De plus, nous t'avons nourri avec le reste du lait fermenté. Et maintenant, va-t-en avec une vache laitière; autant de perte pour nous!

A ces paroles, le visage de Kechuxun s'empourpra sous le coup de l'indignation. Mais comme son père était affaibli par ses 40 ans de travail et qu'il y avait des hommes de main derrière la maîtresse qui lui lançait des regards menaçants il fut obligé de ravaler sa colère, d'emmener la vache laitière vieille et maigre et de rentrer chez lui.

Une fois de retour, Kechuxun dit à son père comment la maîtresse avait fait le compte. Le vieux berger en fut tellement furieux qu'il ne put que dire à son fils:
- Ne garde plus des moutons pour le propriétaire.
Cela dit, il rendit le dernier soupir.

Après la mort du vieux berger, Kechuxun, exécutant sa dernière volonté, ne travailla plus pour le propriétaire. Tout en gardant soigneusement la vache, il défricha encore un lopin de terre et le cultiva. Il commença ainsi à mener sa vie indépendamment. 
 
Un an plus tard, la vache devint robuste et mit bas un veau; la terre qu'il avait cultivée lui donna aussi une très bonne récolte. Un jour, après avoir donné à manger au veau, Kechuxun se préparait à aller travailler aux champs. Juste à ce moment-là, la maîtresse vint avec ses hommes de main. En la voyant arriver, Kechuxun comprit bien qu'elle n'avait pas de bonnes intentions et l'ignora.

Comme Kechuxun s'occupait de ses propres affaires et ne la saluait pas, la maîtresse en fut très furieuse intérieurement. Mais c'est en contrefaisant la pitié qu'elle s'adressa au jeune homme:
- Eh, Kechuxun, tu ne vis pas mal depuis plus d'un an! La vache a-t-elle mis bas un veau? Tu es certainement trop fatigué. Ah, comme ce veau est indocile! Il court partout seulement quelques jours après sa naissance! Allons, Kechuxun, repose-toi quelques jours, j'emmène la vache laitière et le veau pour les nourrir chez moi.
Sur ce, elle voulut aller prendre la vache. Mais à cette vue, Kechuxun se rebella. Il se précipita vers sa vache pour la protéger tout en criant:
- C'est ma vache. Personne ne peut la toucher!
Kechuxun osait même protéger sa vache! La maîtresse en fut d'abord toute abasourdie, puis, cria méchamment:
- Quoi? Ta vache? Comme on le dit, c'est offrir du beurre, et être remercié à coups de poings! Quand ton père est tombé malade, par pitié pour vous deux, j'ai voulu que vous buviez un peu de lait et je t'ai laissé garder cette vache; comment pourrait-elle être devenue la tienne? Tu me paies vraiment d'ingratitude!... Alors, puisque tu nies que c'est ma vache, nous allons porter l'affaire devant le Hazi!


La maîtresse criait ainsi tout en faisant ligoter Kechuxun par ses hommes de main et emmener sa vache laitière et son veau. La maîtresse avait dit qu'ils iraient voir le juge, mais en réalité, elle voulut faire mourir Kechuxun, et s'emparer de ses bêtes et de ses champs. Donc une fois arrivée chez elle, elle enferma Kechuxun dans un cachot souterrain. 
 
Le lendemain matin, de bonne heure, la maîtresse ordonna à ses hommes de main de mettre Kechuxun dans un sac de cuir et, à deux d'entre eux, de le porter dans un bois pour le jeter dans un lac.

A midi, sous le soleil torride, les cailloux du désert de Gobi brûlaient les pieds. Les deux hommes qui portaient Kechuxun, après une demi-journée de marche accélérée, ne pouvaient plus avancer, accablés par la fatigue et la chaleur. Ils mirent le sac à terre pour se reposer. Tout en haletant, ils se plaignaient de la maîtresse:
- Cette renarde est vraiment cruelle. Elle nous a donné seulement deux sous de bronze pour accomplir un meurtre aussi inhumain et sans même nous offrir un repas!
Après avoir entendu leurs paroles et évalué le chemin qu'ils avaient parcouru, Kechuxun comprit où ils allaient le porter. Alors, il poussa un soupir dans le sac et dit:
- Eh! Je n'avais pas pensé être si malchanceux, et un pot d'or sera perdu pour tout le monde!
Dès que Kechuxun eut parlé de l'or, les deux hommes cessèrent leur bavardage.
- A quiconque se chargera d'ensevelir mon corps à l'endroit où l'or est enterré, ce pot d'or appartiendra! Mon père m'a laissé ce pot d'or, reprit-il. Je comptais aller le chercher après avoir récolté les céréales. Et maintenant c'est impossible; si vous voulez m'aider...
- Nous le jurons!
- Bon, je vous fais confiance! Retournez sur vos pas par le même chemin. En arrivant à l'embranchement des trois routes, prenez la route de droite, et plus loin, vous pourrez voir une grande montagne au pied de laquelle il y a un grand arbre, et de là, à sept pas, une gorge profonde. Ne vous arrêtez pas et continuez à avancer en vous frayant un chemin au bout duquel, vous pourrez voir une fontaine, et à côté d'elle, se dresse une stèle de pierre. Enlevez-la et creusez à fond, vous pourrez y trouver le pot d'or que mon père m'a laissé.


Après avoir raconté tout cela, Kechuxun fit répéter ces indications à haute voix aux deux hommes. Alors, ceux-ci se mirent à se disputer. L'un dit:
- Tu attends ici, et je vais aller le chercher. Mais l'autre ne céda pas:
- Non, laisse-moi y aller. Je cours plus vite que toi!
- Non, ta mémoire n'est pas bonne. Tu te tromperas de chemin!
- Je ne me tromperai pas!
- C'est mieux que j'y aille!
A ce moment, Kechuxun leur dit:
- Ne vous disputez pas mes chers amis. Allez-y tous les deux. En tout cas, je n'ai pas le moyen de m'enfuir. Soyez tranquilles et allez-y!
C'était juste ce qu'ils désiraient.
"Il a pieds et poings liés, se disaient-ils. Le sac est bien ficelé. Il ne peut pas s'enfuir."
Et ils s'en allèrent tous les deux.
Dès que ces deux hommes furent partis, Kechuxun se dépêcha de se rouler dans le sac pour briser la corde par le frottement et finit par en sortir.
Juste à ce moment là, il entendit tout d'un coup au loin quelqu'un qui venait vers lui en chantant sur son cheval. A sa voix, il devina que c'était le frère de la maîtresse. Ce type, un bossu avec un oeil aveugle, était aussi gourmand que lascif et dissolu.
Alors Kechuxun changea d'idée. Quand celui-là s'approcha de lui, il se mit à rire exprès dans le sac et dit:
- Ha! Ha! Très bien! Très bien! Merci, mon sac précieux!
En entendant cela, le frère de la maîtresse, tout étonné, sauta à bas de cheval et demanda:
- Qui es-tu? Pourquoi es-tu si content d'être couché dans le sac?
- Va-t-en! Ne me dérange pas. Je suis en train de soigner mes maladies!
Ce type le trouva encore bizarre et l'interrogea à la hâte:
- Quelles maladies soignes-tu? Pourquoi soignes-tu tes maladies en te roulant dans le sac? Dis-le moi vite! Sinon, je te ferai envoyer devant le Hazi!


Kechuxun lui dit du ton de celui qui est contraint et forcé:
- Hélas! Il n'y a vraiment rien à faire avec toi! Je suis bossu et j'ai encore un oeil qui louche. J'ai presque cinquante ans, je n'ai pas pu encore épouser une femme. Hier, par la grâce du ciel, j'ai rencontré un commerçant qui m'a vendu ce sac précieux. Il avait dit qu'en se couchant dedans, un vieillard pourrait rajeunir, un aveugle lutter corps à corps en en sortant, et un bossu se redresser. Je soigne exprès ici ma bosse et ma loucherie. Touche mon dos, est-il plat ou non? Le frère de la maîtresse toucha son dos, qui était tout plat.
- Et ma voix, ne ressemble-t-elle pas à celle d'un jeune homme d'une vingtaine d'années?
Le frère de la maîtresse trouva sa voix toute claire. Alors, il s'empressa de supplier Kechuxun:
- Cher ami! Sors vite et laisse-moi entrer! Moi, je suis vraiment vieux, bossu, aveugle et boiteux...
Kechuxun l’interrompit, feignant exprès l'embarras:
- Ça ne va pas, mon vieux. Je ne suis pas encore guéri complètement. Si cette fois je ne suis pas guéri à la tombée de la nuit, je devrais attendre le même jour de l'année prochaine! Va-t-en!
En entendant qu'il fallait attendre encore un an si la nuit tombait, le frère de la maîtresse fut plus impatient encore. Faute de convaincre par la douceur, il recourut à la violence. Et étant compté parmi les propriétaires de la steppe, on ne pourrait le convoquer même devant le Hazi; il desserra la corde du sac tout en disant à Kechuxun:
- Excuse-moi, cher ami, un dicton recommande:
"Quand on se rencontre, on partage moitié, moitié".
Si tu sors et me laisse entrer, ce cheval et les cinquante moutons seront à toi. Sinon, je te ferai envoyer devant le Hazi et t'accuserai d'avoir volé le sac précieux de notre tribu !


Kechuxun sortit du sac et dit comme résigné:
- Eh bien! J'ai de la malchance! Mais toi, si tu veux vraiment guérir tes maladies, il te faut être patient. Une fois entré, tu ne peux pas dire ni faire n'importe quoi. Avant que tu sois totalement guéri, tout sera perdu si tu parles ou si tu bouges. Le frère de la maîtresse promit tout ce qu'on voulait, très pressé d'entrer dans le sac. Il allait y passer une jambe quand Kechuxun l'arrêta:
- Ne te presse pas, mon vieux! Pour éviter que par hasard tu parles ou tu bouges, tu dois te laisser lier les mains et les pieds comme moi et bâillonner.
- Ça va! Ça va! Le frère de la maîtresse disait toujours oui et laissa faire Kechuxun.
Celui-ci le ligota solidement et ficela le sac en lui rendant sa forme originale; puis il monta sur le cheval et dit:
- Soigne tranquillement tes maladies ici, et n'oublie pas ce que je t'ai dit tout à l'heure!
Après être entré dans le sac, le frère de la maîtresse ne pensa qu'à la bonne conclusion de l'affaire: il serait devenu un jeune homme élégant à la tombée de la nuit.
Revenons aux deux hommes qui portaient Kechuxun . Ils avaient eu beau courir bien loin, ils n'avaient rien trouvé. Ils suffoquaient de colère. Peu après le départ de Kechuxun, ils revinrent en fureur. En voyant le sac par terre, sans mot dire, ils prirent le bâton et se mirent à frapper.
Le frère de la maîtresse reçut les coups dans le sac, mais il pensa encore que c'était un génie qui venait traiter sa bosse.


Très content, il se hâta de tourner son dos pour le laisser frapper. Mais peu après, il ne put plus supporter les coups et oublia ce que lui avait dit Kechuxun. Il se roula dans le sac en criant de douleur. Mais qui eût cru que ses cris ne feraient qu'exacerber la fureur des deux hommes qui redoublèrent de coups. 

Le frère de la maîtresse avait rendu le dernier soupir lorsqu'ils le portèrent jusqu'au lac et l'y jetèrent en attachant une pierre au sac. Ils rentrèrent chez la maîtresse et celle-ci, pleinement satisfaite, ordonna tout de suite à ses serviteurs d'atteler les chevaux pour aller chercher les céréales de Kechuxun. A mi-chemin, elle vit, non loin de là, un cavalier sur un grand cheval qui conduisait un troupeau et se dirigeait vers elle. Il chantait:
"Quel bon cheval! Quels gras moutons! Ce genre de bétail doit m'appartenir."
Pour voir qui pourrait bien être le cavalier, elle s'avança à toute bride.

Elle arriva peu après devant lui. Mais dès le premier coup d'oeil, elle fut tellement épouvantée qu'elle faillit tomber de cheval. En effet, l'homme sur le cheval était justement ce Kechuxun qu'elle avait fait jeter dans le lac!


Kechuxun attendit qu'elle se fût bien remise en selle, puis lui dit:
- Ne me reconnais-tu pas? Je suis justement ce Kechuxun que tu as fait jeter dans le lac! Ah! Tu ne sais peut-être pas que dans le lac habitent aussi des familles. Leurs bestiaux sont si nombreux qu'il est difficile de les dénombrer! Quand j'y suis arrivé, ils m'ont reçu chaleureusement et m'ont offert beaucoup de bêtes. Mais malheureusement, à moi tout seul, je ne peux pas en garder tant. Je ramène seulement ces quelques moutons pour en faire présent aux villageois. Et puis j'y retournerai avec eux pour ramener les autres. Sur ce, il se remit à chanter et s'en alla avec ses moutons. 

Sans mettre ces paroles en doute, la maîtresse se repentit de ne pas avoir appris cela plus tôt et d'avoir été devancée par Kechuxun. Alors elle décida de prendre les devants avant que celui-ci ne se jette dans le lac pour la deuxième fois. Et elle fit appeler en hâte ses enfants et ses brus et leur ordonna d'aller tous la rejoindre au bord du lac.

Quand ils y furent tous rassemblés, ne sachant même pas ce qui s'était passé, la maîtresse les pressa de se jeter dans le lac et fit aussitôt de même.

Elle venait de disparaître dans les eaux quand Kechuxun arriva avec les villageois. En voyant la famille de la maîtresse se débattre désespérément dans le lac, ils ne pouvaient s'empêcher de crier "bravo" et de dire:
"Des sales gens comme ça, il faut chercher à les punir. Si nous ne les laissons pas se jeter dans le lac, ils ne cesseront jamais d'opprimer les pauvres."

Ces mots se sont répandus partout sur la steppe de génération en génération et jusqu'à nos jours.

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