Petits contes traditionnels chinois (3ème partie)

Voici la troisième série de petits contes chinois, qui sont l'équivalents de nos fables mais dans la plus pure morale chinoise :


La Perche dans l'Ornière

Zhuangzi était un philosophe très pauvre. Un jour, il alla trouver l'Intendant du Fleuve pour lui emprunter des vivres. Celui-ci lui dit:
- Volontiers, mon cher; mais attendez un peu. Quand j'aurai perçu mes redevances, je vous prêterai trois cents onces d'argent, cela vous va-t-il?
Indigné, Zhuangzi lui répondit par la métaphore que voici : - Hier, alors que je me promenais, j'ai vu une perche dans une ornière desséchée. Dès qu'elle me vit, elle se mit à crier:
- Respectable vieillard, je suis originaire de la mer de l'Est; par malheur je suis tombée dans l'ornière sans eau que voici. Je vais mourir si vous ne venez pas à mon secours. Voulez-vous m'apporter un seau d'eau?
A quoi je répondis par un signe de tête, en ajoutant:
- Volontiers, ma pauvre perche. Je vais de ce pas rendre visite aux Princes de plusieurs royaumes du sud. Ce sont, comme vous le savez, des pays où les eaux abondent et je ne manquerai pas de faire venir les eaux du fleuve Ouest pour vous abreuver.
Indignée, la perche répondit :
- Que dites-vous! Un seau d'eau apporté sur le champ suffirait pour me sauver la vie, mais s'il me faut attendre que vous fassiez venir les eaux du fleuve Ouest, il y a de fortes chances pour que je ne sois plus là lorsque vous reviendrez. Il vous faudra alors me chercher parmi les poissons salés!
Le Sot Orgueilleux

Le chariot d'un marchand passa près de la porte Est de la ville. Il manquait une cheville à l'une de ses roues qui menaçait de se détacher d'un moment à l'autre et le chariot était en grand danger de se renverser.
Un passant, au bord de la route, s'écria obligeamment.
- Arrêtez, la roue de votre chariot a perdu une cheville!
Sans répondre, le marchand continua son chemin.
Le passant se mit à courir, rattrapa la voiture, saisit le brancard et cria au conducteur:
- N'avez-vous pas entendu? La cheville de votre roue est tombée; si vous ne la faites pas remplacer tout de suite, votre chariot va verser!
Le commerçant répliqua froidement:
- Oui, oui... Je vous ai entendu tout à l'heure, mais en quoi cela peut-il bien vous intéresser que la cheville de ma roue soit tombée? Mêlez-vous donc de vos affaires!
Deux Chasseurs d'Oies Sauvages

Deux frères, voyant approcher une bande d'oies sauvages, préparèrent leurs arcs. - Si nous tuons une oie sauvage, nous la ferons cuire en daube, dit l'un.
- Non, dit l'autre, c'est bon pour accommoder les oies sauvages tuées à terre, mais celles que l'on tue en plein vol doivent être rôties.
Pour régler cette discussion, ils en référèrent au chef du village.
- Coupez l'oie en deux, conseilla le chef, et que chacun l'apprête à sa façon.
Seulement lorsque les deux chasseurs furent prêts à tirer, les oies sauvages étaient loin à l'horizon.
Les Bateaux Vétustes

Lorsque Hu Lizi quitta la capitale pour s'en retourner dans son pays natal, le premier ministre mit à sa disposition un fonctionnaire pour l'accompagner.
- Parmi les bateaux du gouvernement, dit-il, choisissez pour votre voyage celui qui vous plaira le mieux. Le jour du départ, Hu Lizi arriva le premier à l'embarcadère; il y avait plusieurs milliers d'embarcations amarrées le long du rivage. Il cherchait à reconnaître les bateaux gouvernementaux, mais n'y parvenait pas.

Lorsque le fonctionnaire qui devait l'escorter arriva, il lui demanda :
- Il y a tant de bateaux ici ! Comment distinguer ceux du gouvernement ?
- Rien de plus facile, répondit son interlocuteur, ceux dont la bâche est trouée, les rames brisées et les voiles déchirées sont tous des bateaux du gouvernement.
Hu Lizi leva les yeux au ciel, soupira et se dit en lui-même :
"Ce n'est pas étonnant que le peuple soit misérable. L'Empereur le considère sans doute comme propriété du gouvernement, lui aussi."
Le Petit Oiseau et le Rocq

Autrefois, il y a bien longtemps de cela, existait sur Terre un oiseau gigantesque appelé Rocq. Son dos était aussi vaste que le Mont Taishan et lorsqu'il déployait ses ailes, il cachait le Soleil tel un immense nuage noir. Pour prendre son envol, il soulevait un tourbillon de vent et il partait pour franchir quatre-vingt-dix milles lieues d'un seul trait.

Un jour alors qu'il se rendait du Pôle Nord au Pôle Sud, il fut aperçu à mi-chemin par un moineau.
"Mais où va-t-il donc ? se dit le petit oiseau en ricanant. Moi, je sautille de-ci de-là, je prends mes ébats tout à mon aise dans les broussailles d'où je m'élance parfois jusqu'à une hauteur de dix pieds. N'est-ce pas déjà admirable ? Lui, où prétend-il aller encore ?"
Voilà deux façons de voir les choses nées de la différence de taille.
La Grenouille et son Logis

Une grenouille avait élu domicile au fond d'un puits abandonné. Un jour, elle vit sur la margelle une grande tortue de mer. La grenouille se mit à vanter à l'étrangère les avantages que lui procurait son logis: - Regardez, dit-elle, comme je me trouve bien dans mon puits. Quand l'idée m'en vient, je prends mes ébats autour de la margelle. Une fois fatiguée, je me retire au fond du puits pour me reposer contre la paroi du mur en brique. Tantôt je m'accroupis tranquillement dans l'eau, la tête et la bouche seules émergeants; tantôt je me promène dans la boue tout aussi agréablement. Regardez-moi ces bandes de crabes et de têtards, aucun d'entre eux ne pourrait se comparer à moi ! D'ailleurs, maîtresse de mon logis, j'y jouis d'une liberté entière. Pourquoi ne venez-vous pas me rendre une petite visite amicale de temps à autre?

La curiosité mise en éveil par ces paroles, la tortue voulut voir le puits tant vanté, mais à peine eut-elle levé la patte gauche qu'elle se sentit retenue par la patte droite qui ne pouvait pas passer. Epouvantée, elle recula de deux pas et à son tour, vanta à la grenouille les beautés de son logis à elle:
- N'avez-vous jamais vu la mer? lui dit-elle. Elle s'étend sur plus de mille lieues et est profonde de plus de dix milles pieds. Dans les temps anciens, le déluge sévissait neuf années sur dix, mais la mer marquait à peine une légère crue; un peu plus tard la sécheresse désolait la terre sept années sur huit, mais c'était à peine si le niveau de la mer baissait. Vous voyez, ni déluge ni sécheresse n'ont d'influence sur elle. C'est un vrai bonheur que de vivre dans les vastes océans.
A ces mots, la grenouille confondue, ne trouva plus rien à répondre.
Le Bon Remède

Il y avait dans le royaume de Song une famille de blanchisseurs qui possédait un remède pour les gerçures. C'était un onguent particulièrement efficace dont la recette était gardée secrète de père en fils. Quelqu'un ayant eu connaissance de ce fait, vint trouver les blanchisseurs et proposa de leur acheter le secret:
- Je vous donne cent onces d'argent, leur dit-il, si vous consentez à m'indiquer la recette.
Les blanchisseurs tinrent conseil. Leur métier était de si peu de rapport qu'ils trouvèrent très avantageuse l'offre de l'étranger et l'acceptèrent sans plus tarder.
Une fois en possession du secret, l'étranger alla l'offrir au roi Wu.

Plus tard la guerre éclata entre le royaume de Wu et le royaume de Yue. C'était un combat naval et l'on était en plein hiver. Les soldats eurent les mains gercées, mais grâce au fameux remède, ils furent vite guéris et remportèrent sans difficulté la victoire. Le roi donna une récompense magnifique à celui qui avait fait connaître le remède.
C'était le même onguent, mais dans le premier cas il fut juste bon pour aider une famille de blanchisseurs, alors que dans le second il sauva un royaume. Il en est ainsi de toutes choses, tout dépend de l'usage qu'on en fait.
Deux Bergers Distraits

Deux petits bergers, Gu et Zang, rentrèrent un soir sans leur troupeau.
Le maître demanda:
-Zang, où sont tes brebis?
Et Zang répondit :
- J'avais emporté un livre avec moi; j'étais tellement absorbé par la lecture que les brebis s'en sont allées sans que je m'en aperçoive.
- Et toi, Gu, comment as-tu fait pour perdre tes brebis, toi aussi?
* Et Gu répondit :
- J'ai joué aux échecs avec mes camarades; j'étais tellement absorbé par le jeu que les brebis s'en sont allées sans que je m'en aperçoive. Deux passions différentes avaient entraîné les deux enfants à négliger leur devoir,
deux passions différentes qui avaient abouti au même résultat.
La Sacoche Volée

Il y avait autrefois un homme de piètre intelligence qui se rendait à la ville pour prendre part aux examens officiels. En route, sa sacoche lui fut volée par des bandits. - Les bandits m'ont volé ma sacoche, mais ils ne pourront rien me prendre! dit-il.
Et comme on lui demandait ce qu'il entendait par là, il répliqua :
- La clef de ma sacoche pend encore à ma ceinture, comment les bandits pourraient-ils l'ouvrir?
Avaler le Jujube tout entier

Un sot, un jour entendit cette conversation :
- Les poires sont bonnes pour les dents mais nuisibles pour la rate, les jujubes au contraire ne valent rien pour les dents, mais font du bien à la rate. Il réfléchit longuement et dit :
- Je mâcherai les poires, mais ne les avalerai pas, ainsi elles ne pourront nuire à ma rate. J'avalerai les jujubes sans les mâcher, ainsi ils ne pourront gâter mes dents.
L'un de ses amis déclara :
- Voilà ce qui s'appelle "Avaler le Jujube tout entier"!
Tout le monde éclata de rire.
Note : "Avaler le jujube tout entier" : Expression courante pour exprimer "Agir sans Réflexion".
 
La Lance et le Bouclier

Il y avait autrefois un armurier qui vendait des lances et des boucliers. Il prit un bouclier et déclara :
- Voilà mon bouclier; Il est si solide qu'aucune arme si tranchante soit-elle, ne saura le percer.
Ensuite, il prit une lance et dit :
- Voilà ma lance. Elle a une pointe si affilée qu'aucune arme défensive, si solide soit-elle, ne saura lui résister.
Un homme de l'assistance que ces vantardises faisaient rire sous cape, se détacha du groupe et s'adressa au marchand :
- A ce que vous dites, votre lance est si pointue que rien ne saura lui résister et votre bouclier est si solide que rien ne saura le percer. C'est fort bien. Mais si vous prenez votre lance et foncez sur votre bouclier, qu'arrivera-t-il ?
Pris au dépourvu, notre marchand resta tout penaud, ne sachant que répondre.
Pourquoi Zeng Shen tua son Cochon

Un jour, la femme de Zeng Shen se préparait à sortir. Mais la voyant prête à partir et voulant sortir avec elle, son fils poussa de hauts cris.
Pour se débarrasser de lui, sa mère lui dit:
- Reste ici bien sagement, quand je serai de retour, on tuera le cochon, et tu en mangeras un bon morceau. En rentrant à la maison, elle vit avec stupéfaction que son mari faisait des préparatifs pour tuer le cochon.
- Comment ? Dit-elle, tu vas le faire pour de bon !
Mais quand je parlais de tuer le cochon, c'était pour calmer le petit.
- Tu avais tort de parler ainsi, répondit Zeng Shen. Car, dans ses actions, ce sont toujours son père et sa mère qu'imite l'enfant. En mentant à ton fils, tu lui apprends à mentir. S'il vient à s'apercevoir que tu le trompes, il n'aura désormais plus confiance en toi. N'est-ce pas une fort mauvaise éducation que tu donnes à ton fils.
Et Zeng Shen tua effectivement le cochon.
Le Platane Abattu

Un homme avait dans sa cour un vieux platane desséché.
Son voisin lui dit:
- Si tu ne l'abats pas, ça te portera malheur.
Crédule, l'homme abattit l'arbre. Voyant les branches mortes joncher le sol, le voisin lui en demanda quelques rameaux pour allumer son feu.
- C'est donc pour cela que tu m'as conseillé d'abattre l'arbre, s'écria l'homme en colère. Tu es un homme intéressé et dangereux, n'as-tu pas honte de te conduire ainsi avec ton voisin?
La Liberté des Tourterelles

Autrefois, il y avait dans le pays de Handan une coutume selon laquelle les habitants étaient tenus, le jour du Nouvel An d'offrir à leur Roi une quantité de tourterelles pour qu'il les remît en liberté. Tous ceux qui en avaient offert étaient récompensés par le Roi. Quelqu'un demanda au Roi:
- Vous vous faites offrir des tourterelles pour les remettre en liberté; qu'elle peut bien être votre intention?
- C'est pour faire montre de ma clémence les jours de fête, répondit le Roi.
L'interlocuteur reprit:
- Quand le moment est venu de vous offrir les tourterelles, les gens du peuple s'en vont pourchasser à qui mieux mieux ces pauvres oiseaux. Ils en tuent autant qu'ils en capturent. Si vous voulez vraiment faire preuve de clémence, ne vaudrait-il pas mieux interdire de les attraper? Ce serait le plus sûr moyen de leur sauver la vie. A les attraper pour les libérer ensuite, on en fait mourir des quantités. Votre bienfaisance ne paye pas le mal que vous causez.
D'un signe de tête, le Roi convint que ces observations étaient parfaitement justes.
Le Roi et son Arc

Un Roi amateur de tir à l'arc se plaisait à passer pour un homme doué d'une force extraordinaire, mais en vérité il était incapable de bander un arc dont la traction dépassât trois cents livres. Il se vanta devant ses généraux qui prirent chacun à leur tour l'arc, le bandèrent à demi, et s'écrièrent:
- Mon Dieu, c'est un arc d'au moins neuf cents livres ! Il n'y a que Votre Majesté qui soit capable de se servir d'un tel arc.
Et le Roi était ravi.
Voilà un Roi qui toute sa vie durant crut, grâce aux flatteries, qu'il pouvait bander un arc de neuf cents livres alors qu'en vérité il ne pouvait dépasser trois cents livres.
Le Faux Musicien

Le Roi Xuan de Qy aimait le faste et avait pour l'orgue de bambou un engouement sans limite. Il entretenait jusqu'à trois cents joueurs d'orgue, et les faisait jouer souvent ensemble. Dans son royaume vivait un certain lettré nommé maître Nanguo. Maître Nanguo ne savait pas du tout jouer de l'orgue, mais misant sur l'excessive passion du Roi pour cet instrument, il se présenta au Palais et demanda à faire partie de l'ensemble royal.

Le Roi l'accepta, et de surcroît lui accorda une rémunération très élevée.
Chaque fois que l'on faisait jouer les musiciens, maître Nanguo s'emparait de son instrument et s'ingéniait à faire semblant de jouer. Ainsi les jours passèrent sans qu'il lui arrivât le moindre incident.
Quand le Roi Xuan mourut, son fils, le Roi Ming lui succéda. Hélas, le nouveau Roi n'avait pas les mêmes goûts que son père : Il aimait l'orgue, certes, mais le préférait joué en solo; c'est pourquoi il demanda à ce qu'on lui présentât les musiciens chacun à leur tour.
En apprenant cette nouvelle, maître Nanguo, le faux musicien s'enfuit.
L'Homme qui s'achète des Souliers

Un homme se prépare à aller au marché pour s'acheter des souliers.
Avant de partir il mesure son pied, en prend la dimension au moyen d'un brin de paille et se met en route. Mais s'étant trop hâté, il oublie de prendre la paille avec lui.
Arrivé au marché, il s'arrête devant la baraque d'un marchand de souliers, tâte sa poche et s'aperçoit qu'il n'a pas emporté le brin de paille.
- J'ai oublié d'apporter la mesure, dit-il au marchand et comme j'ignore la dimension du pied, il faut que je m'en retourne la chercher.
Et il se hâta de rentrer chez lui, prit la paille et repartit. Le chemin était long. Quand il arriva au marché, il était déjà tard, le marché était fermé. il ne put donc acheter les souliers et toute cette peine il se l'était donnée pour rien.
Alors, quelqu'un demanda :
- Est-ce pour vous-même ou pour un autre que vous achetez les souliers ?
- C'est pour moi-même, répondit-il.
- Mais n'avez-vous pas vos pieds au bout de vos jambes ? Alors à quoi bon être allé chercher la mesure ?
L'Elixir d'Immortalité

Le bruit courait que dans la montagne, à quelques milliers de lieues de la capitale, vivait un vieux moine taoïste qui détenait le secret de l'élixir d'immortalité.
Ayant eu vent de la chose, le Roi envoya un grand dignitaire chercher le secret. Mais lorsque le messager arriva sur les lieux, le moine venait de mourir.
Furieux, le Roi accusa le dignitaire de s'être mis en retard par manque de diligence et le condamna au châtiment suprême.
Voilà un Roi qui n'était pas un parangon de sagacité. Il ne lui était, en effet, même pas venu à l'idée que si le moine avait possédé un élixir d'immortalité, il ne serait pas mort.
Le Chien qui fait tourner le Vin

Il y avait dans le royaume de Song un marchand de vin dont le cru était excellent et qui ne trichait jamais sur la mesure. Dans son débit, dont l'enseigne était bien en vue, il recevait ses clients avec empressement. Cependant, son vin ne se vendait guère. On disait qu'il était tourné et sentait l'aigre à la grande consternation de notre marchand.
Un jour, il alla trouver un homme avisé pour le consulter sur la cause de la mévente.
- Auriez-vous un chien méchant ? lui demanda celui-ci.
- C'est vrai que j'ai un chien un peu méchant. Mais quel rapport cela a-t-il avec mon vin ?
- Il y en a un très grand. Quand vos clients vous envoient leur enfant, la pinte à la main, pour acheter du vin, et que votre chien le reçoit les griffes en avant, la gueule menaçante, se jette sur les mollets, et lui déchire ses habits, comment voulez-vous que votre seuil ne devienne pas pour lui une zone de danger. Rien d'étonnant si votre vin tourne et ne se vend pas.
L'Ecrin et les Perles

Un homme du royaume de Chu devait se rendre au royaume de Zheng pour y vendre des perles. Il fabriqua, pour y serrer ses perles, un écrin en bois de grande valeur qu'il fit ensuite graver, parfumer et orner de toutes sortes de pierres précieuses. C'était un écrin vraiment admirable.
Un Homme du royaume de Zheng, émerveillé par la beauté de l'écrin, l'acheta, mais rendit au marchand les perles qu'il contenait.
C'était là un homme qui s'y connaissait sans doute à vendre des écrins, mais non des perles.

Le Prince qui aimait les Dragons

Le Prince Ye était réputé pour avoir la passion des Dragons. Chez lui il en avait fait peindre sur les murs, gravés sur les piliers. Bref, sa maison était pleine de Dragons. Quand le véritable Dragon eut connaissance de ce fait, il descendit du ciel chez le Prince pour l'honorer en personne de sa visite. Il passa sa grosse tête par les croisées du sud, tandis que sa queue s'enroulait sur les croisées du nord.
A ce spectacle, le Prince, au bord de la folie, s'enfuit le plus vite qu'il put.
Ceci prouve que le Prince de Ye s'était engoué non du véritable Dragon du ciel, mais simplement de ces soi-disant Dragons peints sur les murs et gravés sur les piliers.
Trop de Chemins

Un jour un voisin de Yangzi laissa s'échapper un de ses moutons. Après avoir envoyé tous les siens à la poursuite de l'animal, il se précipita chez Yangzi en le priant de lui prêter ses valets pour se joindre aux recherches.
- Eh quoi! s'écria Yangzi, tant de monde pour retrouver un malheureux mouton!
Le voisin répondit:
- Il y a trop de chemins qui se croisent, alors il faut beaucoup de gens pour suivre la piste du mouton. Un peu plus tard, les valets rentrèrent l'un après l'autre.
Yangzi demanda à son voisin:
- Avez-vous retrouvé le mouton?
Le voisin secoua la tête d'un air découragé et dit:
- Non, il est perdu.
- Pourquoi n'avez-vous pas pu le rattraper?
- Il y a trop de chemins qui se croisent, répondit le voisin, de sorte qu'on ne sait quelle route le mouton a prise et nous sommes tous rentrés.
Cette histoire affecta beaucoup Yangzi qui, de toute la journée, resta sombre et silencieux. Etonné, un de ses disciples lui dit:
- La perte d'un mouton n'est pas une telle affaire, de plus il n'était pas à vous. Alors pourquoi en être si affligé?
Mais Yangzi gardait toujours le silence...
N'étant pas parvenu à recevoir de réponse, le disciple alla tout raconter à Xin Duzi:
- Vous êtes son disciple, lui dit ce dernier, et pourtant vous ne le comprenez pas. On n'a pas pu retrouver le mouton parce qu'il y a trop de chemins qui se croisent en tous sens. Eh bien de même, si nous autres, érudits, au lieu de concentrer notre attention sur un seul point, nous perdons notre temps à courir tantôt d'un côté, tantôt de l'autre, nos efforts n'aboutiront à rien, tout comme ces gens qui n'ont pas pu retrouver le mouton.
Le Paysan qui attendait son Lièvre

C'était un paysan qui vivait dans le royaume de Song. Un jour qu'il travaillait dans les champs, il vit passer comme un trait un lièvre qui alla donner contre un arbre au bord de la route et s'y rompit le cou. Le paysan ramassa le gibier sans se donner plus de peine.
A partir de ce jour, il allait chaque matin dans son champ, posait sa houe à terre, s'asseyait sous l'arbre, prenait ses genoux dans ses mains et attendait qu'un deuxième lièvre vînt se rompre le cou comme le premier.
De deuxième lièvre, il n'y en eut point, mais notre homme devint la risée de tout le royaume.
Les Serpents Déménagent

Une grande sécheresse sévissait. L'étang était à sec. Deux serpents d'eau se virent obligés de déménager. le plus petit dit à l'autre :
- Si tu marches devant et que je marche derrière, j'aurais l'air d'être ton serviteur et on ne manquera pas de tuer le maître. Avisons donc. Tu vas prendre ma queue entre tes dents et je vais en faire autant pour la tienne, puis je monterai sur ton dos. Cette position adoptée, nous nous mettrons en route. Quand les gens nous verront, ils me prendront pour une Divinité et nous laisseront tranquillement aller jusqu'à la rivière.
En effet, sur le passage des deux serpents tous s'écartaient respectueusement en s'écriant:
- Voilà une Divinité qui passe.
L'Arc et la Flèche

Un homme vantait la qualité de son arc :
- Regardez mon arc. Il est si bon que je n'ai nul besoin de flèche. Un autre vantait la qualité de sa flèche :
- Regardez ma flèche. Elle est si bonne que je n'ai nul besoin d'arc.
Juste à ce moment vint à passer un maître archer qui s'arrêta pour leur dire :
- Ce que vous avancez là est absolument insensé. Sans arc, comment ferez-vous partir les flèches ? Et sans flèche, avec quoi frapperez-vous la cible ?
Puis il demanda à l'un son arc et à l'autre sa flèche, et se mit à leur enseigner l'art du tir.
C'est alors que les deux hâbleurs comprirent pour la première fois que l'arc ne peut se passer de la flèche, pas plus que la flèche ne peut se passer de l'arc.
Le Cocher Vaniteux

Un jour, Yanzi, premier ministre du royaume de Qi sortit en voiture. Au moment où son attelage passait devant la maison de son cocher, la femme de ce dernier, épiant par les fentes de la porte, vit son mari qui, installé sous le grand dais, faisait claquer son fouet d'un air triomphant, visiblement tout gonflé de son importance. Quand le cocher fut de retour chez lui, sa femme lui déclara qu'elle voulait le quitter. Abasourdi, il lui demanda la raison d'une telle décision.
- Yanzi est le premier ministre de Qi, lui répondit-elle, il jouit d'une grande réputation. Aujourd'hui je l'ai vu passer, il était assis dans sa voiture, le maintien modeste, nullement préoccupé de se donner des airs. Tandis que toi, qui après tout n'es qu'un cocher, tu jouais les grands personnages. C'est pourquoi, je ne veux plus vivre avec toi.
A partir de ce jour les manières du cocher changèrent complètement, il devint d'une modestie exemplaire.
Frappé de ce changement subit, le ministre s'en fit expliquer la cause.
Il en conçut de l'estime pour cet homme qui avait su se corriger avec une telle promptitude et le présenta au Roi pour qu'il le nommât à un poste officiel.
Une Leçon d'Echecs

Il y avait autrefois un joueur d'échecs renommé qui s'appelait Qiu. Personne ne pouvait l'égaler et il n'avait jamais rencontré d'adversaire digne de lui dans la région. 

Qiu enseignait à deux jeunes gens l'art des échecs. L'un d'eux s'appliquait beaucoup et suivait les explications du maître avec attention, alors que le second était distrait. Il était bien là comme son camarade, ayant l'air d'écouter, les yeux fixés sur le jeu; mais en réalité sa pensée était ailleurs: Il songeait tout le temps aux oies sauvages qui passaient dans le ciel et dont il lui semblait entendre les cris, et il aurait voulu prendre son arc et aller en abattre quelques-unes.

Il en résulta que le premier élève devint vite un joueur d'échecs consommé tandis que l'autre, bien qu'il eût passé beaucoup de temps à apprendre ce jeu n'en retint que quelques vagues rudiments.
Etait-ce que son camarade était plus doué que lui ? Que non pas; il faut en chercher ailleurs la cause.
Le Voleur de Poulets

Un homme avait pris l'habitude de voler les poulets de ses voisins et ne laissait pas passer un seul jour sans en voler un.Un ami lui dit :
- C'est très mal de voler. Tu dois absolument te débarrasser de cette manie.
Le voleur répondit:
- Tu as raison. Je sais bien que c'est mal de voler le bien d'autrui, mais cela est devenu une habitude dont il m'est difficile de me défaire d'un coup. Désormais je tâcherai de voler moins souvent. Je volais un poulet tous les jours; à partir d'aujourd'hui, j'en volerai un tous les mois. L'année prochaine, j'aurai complètement cessé de voler. Qu'en penses-tu ?
S'il est bien établi que le vol est une pratique malhonnête, nul besoin de délai pour s'en abstenir. Le plus tôt est le mieux. A quoi bon attendre "l'année prochaine !"
De la Différence entre Cinquante et Cent Pas

Le Roi Hui des Liang aimait la guerre avec passion. Un jour il dit à Mencius:
- Je m'occupe des affaires de l'Etat avec le plus grand soin. Au cas où la disette sévit à l'Ouest du fleuve, je fais émigrer une partie des habitants dans la région Est, d'où je prends des vivres pour les transporter dans la région de l'Ouest; et je fais de même lorsque c'est dans la région Est que sévit la disette. J'ai observé les rois des Etats voisins, ils sont loin de se préoccuper autant que moi de leur peuple et pourtant la population ne diminue pas plus dans leur royaume qu'elle ne s'accroît dans le mien. Pourquoi cela ? Mencius répondit :
-Vous aimez beaucoup la guerre. Je vais vous expliquer la chose à l'aide d'une comparaison tirée de cet art : Déjà la bataille s'engage au roulement du tambour, les soldats se jettent les uns sur les autres, l'épée à la main. Mais voilà que bientôt les vaincus arrachent leur épaisse cotte de mailles pour s'enfuir avec plus de légèreté, portant leurs armes à bout de bras. Supposez un guerrier qui, ayant accompli une cinquantaine de pas, s'aviserait de rire d'un autre qui en a fait cent : "Poltron ! lui dit-il, tu as peur de mourir?"
Cet homme a-t-il le droit de parler ainsi?
Le Roi répondit :
- Nullement. Pour n'avoir parcouru qu'une cinquantaine de pas il n'en est pas moins un fuyard.
Mencius reprit :
- Si Votre Majesté en convient, comment se fait-il qu'elle espère voir la population de son royaume augmenter davantage que dans les autres !
L'Agriculteur Impatient

Dans le royaume de Song vivait un homme si peu patient qu'il voulait absolument voir les jeunes plants de riz pousser à vue d'oeil dans les champs. Un jour il s'avisa d'un expédient : il entra dans le champ, saisit chaque plant l'un après l'autre et les tira légèrement de terre.
Puis harassé par sa besogne, il rentra chez lui et dit aux siens:
- Quel travail! J'en suis tout moulu! Mais les plants de riz ont bien poussé.
Son fils, incrédule, s'en fut voir. Hélas! déjà les pauvres plants commençaient à se flétrir.
Trouver inutile de biner les champs et laisser les plants sans soin est certainement une erreur, mais s'ingénier à les faire pousser en les tirant de terre est un travail non seulement inutile, mais encore très nuisible.

 

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