Enfer et paradis du bouddhisme chinois

Le bouddhisme apporte toute une structure infernale et paradisiaque aux chinois, à travers la cité des morts, les tribunaux infernaux et la Terre pure. 

La Cité des morts : avant le bouddhisme, les morts avaient un domaine. Appelé "les Sources Jaunes", il était le lieu de repos des âmes après le trépas. On l'imaginait, dans la haute antiquité, à fleur de terre, tout près des établissements des vivants. Avec les géographies imaginaires des taoïstes, le monde des morts se localise. Il gît sous le mont Fengdu, Cité de l'Abondance, dans une île lointaine située au cœur de la Mer boréale. 

En même temps que ses terres promises paradisiaques, la voie de Bouddha ouvrit aux défunts les portes de ses Enfers. La première aux méritants, les seconds aux déméritants. Tels sont les parcours tracés par les lois de causalité qui régissent les réincarnations successives. 

Le bouddhisme apporta une touche finale à l’échafaudage des croyances liées à l'au-delà. Il fit de ce domaine sa grande spécialité : même exécutés par un prêtre taoïste, les rites funéraires de sauvetage des âmes s'appuient sur des rituels et sutras bouddhiques.

La cité des morts quitta progressivement ses terres imaginaires de confins pour se rapprocher du territoire des humains. Sous les Ming, vers la fin du XVIème siècle, un mandarin nommé Guo en découvrit l'entrée, obstruée par des éboulis rocheux, au pied du mont Ming, en pays de Shu. Le général Guan lui servit de guide dans cette contrée placée sous la juridiction de Yama, dieu de la Mort, régnant en son Palais "Filet de la Forêt des Apparences" sur les différentes instances des tribunaux infernaux. Le lieu fut rebaptisé Fengdu.
 
Le bouddhisme donna un calendrier, une date annuelle où les vivants peuvent cotoyer leurs morts, pour aider les plus désemparés à se sortir des tourments infernaux : du 15 au 30 du 7ème mois, lors de Yulan hui (l'assemblée de l'Avalambana), les portes des Enfers sont ouvertes pour permettre aux défunts de revenir sur terre. Comme Guanyin déployant sa compassion infinie en ce monde pour montrer le chemin de la Terre Pure d'Amitabha, les morts ont leur bodhisattva guide. Il a pour nom Dizang (Trésor caché de la terre). Il est le maître de Jinhua shan, le mont des Neuf Lotus, une des quatre montagnes sacrées des bouddhistes.

A l'instar de Guanyin, il a fait vœu de compassion. Pour toute l'interminable "période sans Bouddha" qui ne prendra fin, au terme d'une décadence croissante, qu'avec la venue régénératrice de Maitreya, le Bouddha du futur, Dizang restera présent tant qu'il y aura des hommes à secourir, rapatriant ses fidèles défunts dans le séjour paisible du Nirvana.

Les tribunaux infernaux : C'est aux enfers que revient en dernière instance la décision de l'affectation d'un mort dans le parcours des réincarnations et le statut des fonctionnaire céleste ou infernal. Elle se décrète au sein de Yamen (les tribunaux infernaux) qui sont au nombre de dix. Chaque tribunal dispose d'hommes de main, dotés soit d'une tête de bœuf, soit d'une tête de cheval. Eux aussi sont des morts, qui de leur vivant ont maltraité vaches et chevaux. Ils sont chargés d'exécuter sur les âmes les ordres donnés par les différents tribunaux.

Les dix Yamen : Le voyage du mort débute par la traversée du Pont-sans-retour. Ensuite, il est conduit au tribunal N°1, dont le juge est Qinguang. Il vérifie si le décès est fondé et conforme au destin. Après quoi, l'alternative est la suivante : les méritants sont emmenés directement au tribunal N°10 pour renaître selon les lois des causalités, les autres déférés au tribunal approprié :

- Au tribunal N°2 atterrissent les malhonnêtes et les cruels, c'est à dire les mauvais entremetteurs, les médecins ignorant, les religieux trop zélés, et tous ceux qui mutilent yeux, oreilles, bras ou jambes. Ils sont punis par faim, soif, découpage en morceaux, ensevelissement dans un étang de glace, enchaînement à une colonne de cuivre ardente, ou jetés en pâture à des tigres et des loups.
- Au tribunal N°3, on examine les cas de mandarins dévoyés, femmes insupportables, esclaves désobéissants, caissiers malhonnêtes, prisonniers évadés, pamphlétaires et de ceux qui retardent un enterrement. Les supplices qui leurs sont réservés sont : écorchés vifs, yeux arrachés, orteils et pieds coupés, visage raclé au grattoir de fer, genoux broyés, ensevelissement dans le sel, la soude ou la vermine.
- Au tribunal N°4, on juge les avares, ceux qui lancent des imprécations aux dieux, jettent des ordures dans la rue ou effraient leurs semblables. Les supplices varient : s'agenouiller sur des pointes de bambou acérées, avoir les muscles coupés, les os raclés, les mains ébouillantées, les bras amputés, la bouche entaillée, les yeux énuclées ou être corsetés dans un habit de fer.
- Au tribunal N°5, Yama juge le brigandage, la prostitution, l'ingratitude, l'esprit de vengeance, l'exécution d'un être vivant, l'incrédulité à l'égard de Bouddha et des esprits, la destruction des écritures, séducteurs et séductrices, semeurs de discorde, chasseurs et pêcheurs. Ceux-là subissent l'arrachage du cœur et sont hachés menu.
-Au tribunal N°6 sont jugés ceux qui ont commis des sacrilèges contre le ciel et la terre, ont pissé ou défequé en direction de la Grande Ourse, ou publiés des livres obscènes. Ils sont mis à macérer dans l'urine ou le fumier, broyés dans un moulin, rongés par les rats, sciés en long, écorchés vifs et empaillés.
- Au tribunal  N°7, on s'occupe des nécrophiles, des médecins qui utilisent des parties du corps humain, des mangeurs de chair humaine, des violeurs de sépultures ainsi que de ceux qui font preuve de médisance, d'irrespect ou de haine vis à vis de leur supérieur. Ils sont châtiés par les jambes brûlées, les tibias broyés par des chiens dans leurs mâchoires, leur peau donnée en pâture aux porcs, leurs corps dévorés par les vautours, l'éviscération et les dents arrachées.
- Au tribunal N°8, arrivent ceux qui ont failli à la piété filiale. Ils sont foudroyés, embrochés et mis en cage.
- Au tribunal N°9, arrivent ceux qui ont commis des crimes capitaux vis à vis du code impérial : incendiaires, avorteuses, peintres obscènes, fabricants de remèdes pour endormir les gens. Ceux-là ont le cœur et le foie dévoré par les corbeaux, les poumons et les intestins par des chiens. On les concasse avec des cornes de bœuf, on les harcèle avec des essaims de guêpes. On leur arrache le cœur pour le glisser dans la bouche et le cerveau pour lui substituer un hérisson.
    
Le paradis chinois : La Terre pure : C'est la contrée de la délivrance, où l'âme, bercée de musique et de parfums suaves, connaît l'ultime purification avant le salut définitif. C'est un jardin d'Eden plongé dans un éternel printemps. La terre y est d'or et d'argent. Les arbres y portent mille fleurs et fruits, mais aussi des joyaux précieux et des jades. Agités par la brise, ils répandent une douce musique. Au ciel est une nuée d'anges, les aspara, qui volètent et dansent, dans le tourbillonnement de leurs longues manches de gaze. Au centre de ce paradis trône "Vie Infinie". A ses pieds s'étend un bassin aux eaux limpides ou s'épanouissent des lotus. En chacune d'elle est un être ; une âme renaît au cœur de la fleur.

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