Petits contes traditionnels chinois

Voici une série de petits contes chinois populaires que l'on raconte aux enfants :

Les Comptes du Batelier

Aizi vit un jour un piéton offrir cinquante sapèques à un batelier, en lui demandant de le conduire de Lüliang à Pengmen. Le batelier lui dit :
- Pour quelqu'un qui ne transporte pas de marchandises, le prix est d'ordinaire de cent sapèques. Mais comme il faudrait que je paye un homme cinquante sapèques pour hâler mon bateau de Lüliang à Pengmen, je ne vous en demanderai que cinquante si cela vous va de hâler mon bateau jusqu'à Pengmen!
La Cotte de Mailles

Le Roi Jing aimait fort à guerroyer, et bien souvent les monarques des royaumes voisins eurent à soutenir ses attaques. Un jour, Tian Zan se présenta au Roi vêtu d'une robe rapiécée :
- Quelle vilaine robe vous portez là! Dit le Roi.
- Ma robe n'est pas belle, il est vrai, mais il existe un vêtement encore pire que le mien.
Intrigué par cette réponse, le Roi lui demanda de s'expliquer.
- La cotte de maille que portent vos soldats n'est-elle pas encore plus inconfortable? En hiver, elle donne froid; en été, sous le soleil, on y cuit comme dans un four. Que connaissez-vous de pire comme vêtement?
Je ne suis qu'un pauvre homme, et si je m'habille de cette pauvre robe, c'est malgré moi; mais vous qui êtes le Roi d'un grand et puissant royaume, vous habillez vos sujets de cette cotte de mailles qui est le plus incommode de tous les vêtements.
Ainsi vêtus, vous les envoyez à la guerre pour qu'ils dévastent les royaumes voisins, tuent les habitants et détruisent les maisons, toutes choses contraires à l'esprit d'humanité et à l'honnêteté.
De plus, si vous ne songez qu'à ruiner vos voisins, vos voisins ne songeront qu'à vous rendre la pareille, et ainsi de suite jusqu'à ce que la paix soit à jamais bannie du monde entier, sans qu'aucun d'entre vous ait pu tirer le moindre profit des guerres perpétuelles.

A ce discours le Roi belliqueux ne trouva rien à répondre.
A chacun son domaine

Il était une fois un praticien qui se disait spécialisé en médecine externe. Un guerrier blessé réclama ses soins. Il s'agissait d'extraire une flèche qui s'était enfoncée dans ses chairs. Le chirurgien prit une paire de ciseaux, coupa la penne au ras de la peau, puis réclama ses honoraires.
- La pointe de la flèche est encore dans ma chair, il faut l'en retirer, dit le guerrier.
- C'est du domaine de la médecine interne, répondit le docteur. Comment pourrais-je prendre la responsabilité d'un tel traitement?
L'Usage de la Métaphore

Quelqu'un essaya de discréditer Huizi auprès du Roi des Liang :
- Huizi fait un usage trop fréquent de la métaphore. Il ne sait pas s'expliquer autrement. Le Roi dit :
- Vous avez raison.
Le lendemain, Huizi s'étant présenté devant le Roi, celui-ci lui dit :
- Désormais quand vous aurez à me parler, je vous prie d'aller au but sans user de métaphores.
Le ministre répondit :
- Supposons un homme qui ne sait pas ce que c'est qu'une catapulte. S'il vous demande qu'elle est la forme d'une catapulte et que vous lui disiez : La catapulte à la forme d'une catapulte, comment voulez-vous qu'il puisse se la figurer?
- Pour sûr qu'il ne le peut pas, acquiesça le Roi.
Huizi poursuivit :
- Si vous lui disiez que la catapulte ressemble à un arc dont la corde est faite de bambou, et que c'est une machine de guerre pour envoyer des boulets, alors vous comprendra-t-il ou non?
Le Roi dit :
- Il comprendra.
- Prendre une chose connue de tous pour décrire par comparaison ce que votre interlocuteur ne connaît pas encore, c'est un moyen de la lui faire comprendre. Maintenant si vous me défendez l'usage des métaphores, quel moyen me restera-t-il?
- Vous avez raison , dit le Roi.
La Peau de Mouton

Au cour de ses randonnées le Prince Wen du royaume de Wei vit passer sur la route un paysan portant sur l'épaule un fagot. Il était revêtu d'une peau de mouton dont la fourrure se trouvait à l'intérieur. Surpris, le Prince dit au paysan :
- Pourquoi portes-tu ta peau de mouton à l'envers?
Le paysan répondit :
- C'est pour empêcher la fourrure de s'user au frottement du bois.
- Mais ne vois-tu donc pas que la fourrure est attachée à la peau de mouton? Lui dit en riant le Prince, quand celle-ci aura été usée, à quoi donc tiendra ta fourrure?

 Le reflet de l'Arc

Un mandarin d'un district invita un jour un de ses secrétaires à boire avec lui un verre de vin. 

Un arc peint en rouge était accroché au mur et, par un hasard extraordinaire, il se reflétait juste au fond du verre du secrétaire. Celui-ci crut y voir un petit serpent s'agitant dans le vin et réprimant le dégoût qui lui montait aux lèvres, il avala le vin d'un trait, craignant d'offenser son supérieur en refusant de boire.
De retour à la maison, il eut des coliques, perdit l'appétit, maigrit à vue d'œil. Tous les efforts entrepris pour le guérir s'avérèrent inutiles.

Averti de cet état de chose, le mandarin vint le voir.
- J'ai avalé un serpent qui se trouvait dans mon verre, lui dit le malade, le jour où vous m'avez fait l'honneur de m'inviter à boire chez vous, c'est ce souvenir qui me rend malade.
Le mandarin examina sa salle d'audience et lorsque ses yeux tombèrent sur l'arc suspendu au mur, il comprit tout.
Il envoya chercher le malade en voiture. On le fit asseoir à la place qu'il avait occupée la première fois, un verre devant lui. Et l'on regarda : Le prétendu serpent était au fond du verre.
- C'est pour sûr le reflet de l'arc que vous avez vu. Il est impossible qu'un serpent se trouve dans un verre rempli de vin.
Soulagé, le secrétaire ne tarda pas à recouvrer la santé.
C'est la Tradition

Yang Shuxian, mandarin natif de Meizhou, racontait l'histoire suivante:
Un préfet arrivant à son nouveau poste donna un grand banquet aux notables de la ville. Au milieu du vin et des réjouissances, un chanteur salua en ces termes le nouveau venu:
- "A l'ancien magistrat succède un nouveau, à l'étoile du malheur succède l'étoile du bonheur." En s'entendant appeler "étoile du bonheur", notre préfet dans la jubilation demanda en hâte au chanteur:
- Qui donc est l'auteur de ces vers?
- C'est la tradition qui veut de chanter ainsi après le départ d'un préfet et lors de l'arrivée de son successeur. Nous les saluons tous de ce même couplet, répondit le chanteur.
Le Prince et l'Oiseau de Mer

Un oiseau de mer vint à s'arrêter dans la banlieue de la ville de Lu.
Le Prince de cette ville n'ayant jamais vu de pareil oiseau le prit pour une créature divine. Il envoya un cortège pour le recevoir et l'installa tel un hôte de marque dans un temple de la capitale. Pour le distraire, il faisait jouer de la flûte et du tambour tous les jours et ordonnait qu'on préparât à son intention les festins les plus magnifiques.

Mais toutes ces attentions effrayèrent l'oiseau qui chaque jour devenait plus craintif. Il tremblait du matin au soir, n'osant plus ni manger ni boire. C'est ainsi qu'au bout de trois jours, il mourut.
Le Prince de Lu a voulu faire vivre l'oiseau de mer comme il aimait à vivre lui-même et non pas comme il convient à un oiseau de vivre.
L'Art de tuer un Dragon

Zhu Pingman se rendit auprès de Zhi Liyi pour y apprendre l'art de tuer les Dragons. Pour cela, il consacra trois ans de sa vie et toute sa fortune, qui était considérable. Hélas, jamais il ne rencontra de Dragon et son art acquis au prix de tant de peines s'avéra inutile.
 
Une Imitation Malencontreuse

Xishi était une beauté célèbre. Un jour elle tomba malade, elle avait, disait-on, une maladie de coeur. C'est pourquoi on la voyait souvent la main sur la poitrine, les sourcils froncés. Néanmoins, tout le monde s'accordait pour la trouver toujours aussi belle. 

Dans son village il y avait une laideron qui eut la naïveté de croire que la beauté de Xishi lui venait surtout de ses sourcils froncés, c'est pourquoi elle prit grand soin de l'imiter. Chaque fois qu'elle rencontrait quelqu'un, elle s'efforçait de froncer les sourcils. Mais ces manières ridicules n'eurent pour effet que de la rendre encore plus laide et de mettre en fuite tous ceux qui s'approchaient d'elle.
Un autre Lac

Wang Anshi, premier ministre sous la dynastie des Song, prenait grand intérêt au développement du pays. Un jour, un homme qui cherchait à entrer dans ses bonnes grâces lui proposa le projet suivant:
- En asséchant le lac Lianghanbo au pourtour de huit cents "lis", vous auriez là de bons champs fertiles. Cette idée plut à Wang.
- Mais où déverserons-nous l'eau du lac? Demanda-t-il.

Liu Gongfu, qui assistait à l'entretien, intervint :
- Eh bien! Creusez à côté un autre lac de huit cents "lis" de pourtour et le problème est résolu.
Wang Anshi se mit à rire et le projet en resta là


L'Ane du Guizhou

On n'avait jamais vu d'âne au Guizhou, jusqu'au jour où un excentrique imbu de nouveautés s'en fit amener un par bateau. Mais ne sachant à quoi l'employer, il le lacha dans les montagnes.
 Un tigre, voyant cette créature d'aspect étrange, le prit pour une divinité. Caché dans la forêt, il se mit à l'observer, puis s'aventura hors des taillis, restant pourtant à distance respectueuse. Un jour, l'âne lança un long braiment; le tigre, terrifié, se sauva à toutes jambes. Mais il revint jeter un regard et se dit que cette divinité n'était pas si terrible après tout. S'habituant au braiment de l'âne, il se rapprochait de lui sans pourtant se risquer encore à l'attaquer.

Quand il crut le bien connaître, il prit des libertés, le frôlant, le poussant, l'agaçant, si bien que l'âne pris de colère lui envoya une ruade. "C'est donc tout ce qu'il sait faire" se dit le Tigre. Alors il bondit sur l'âne, le mit en pièces et le dévora.

Pauvre âne! Par sa taille, il semblait puissant, par ses cris, il semblait redoutable. N'eût-il pas montré tous ses talents que le tigre féroce n'aurait jamais osé l'attaquer. Mais, par sa ruade, l'âne avait signé sa propre condamnation.

Les Baguettes d'Ivoire


Zhou, le dernier Roi de la dynastie des Shang, d'un morceau d'ivoire de grande valeur fit faire une paire de baguettes pour sa table.
Ce fait attrista beaucoup son oncle, le Prince de Qi :
Des baguettes d'ivoire ne vont naturellement pas avec des bols et des assiettes de grès. Leur présence exigera celle de tasses et de bols de jade. Mais les bols de jade et les baguettes d'ivoire ne vont pas avec les mets grossiers qu'il faudra remplacer désormais par des queues d'éléphant et des foetus de léopard.
Un homme qui a goûté des queues d'éléphant et des foetus de léopard ne saurait se contenter d'habits de toile de chanvre, ni de maisons basses et inconfortables.
Des costumes de soie et des Palais hauts et magnifiques lui seront indispensables.
Et ainsi de suite, les désirs ne cessant de s'accroître, on aboutit nécessairement à une vie de luxe et de dissipations qui ne connaît bientôt plus de bornes.
Faute de se corriger, le Roi Zhou eut une fin tragique. Il perdit son royaume et se tua de désespoir.
Plus de Marc pour les Cochons

A trente lis de notre bourgade se trouve la montagne Hefu. Là, à côté d'un petit lac, est niché un temple que tout le monde nomme le Temple de la mère Wang. Personne ne sait à quelle époque vécut la mère Wang, mais les anciens racontent que c'était une femme qui fabriquait et vendait du vin. Un moine taoïste avait pris l'habitude de venir boire chez elle à crédit. La marchande semblait n'y prêter aucune attention; chaque fois qu'il se présentait, elle le servait aussitôt.
Un jour, le taoïste dit à la mère Wang :
- J'ai bu votre vin et je n'ai pas de quoi le payer, mais je vais vous creuser un puits.
Le puits terminé, on s'aperçut qu'il contenait du très bon vin.
- Voilà pour vous payer ma dette, dit le moine et il s'en fut.
De ce jour, la femme ne fit plus de vin; elle servit à ses clients le vin tiré du puits. Ce vin était bien meilleur que celui qu'elle faisait auparavant avec du grain fermenté. Sa clientèle s'accrut énormément et en trois ans, sa fortune était faite :
Elle avait gagné plusieurs milliers d'onces d'argent.
Un jour, le moine parut à l'improviste. La femme le remercia avec effusion.
- Le vin est-il bon? Demanda-t-il.
- Oui, le vin est bon, admit-elle, seulement je n'ai plus de marc pour nourrir mes porcs!
En riant, le taoïste prit un pinceau et écrivit sur le mur de la maison :


"La profondeur du Ciel n'est rien,
Le Coeur humain est infiniment plus profond.
L'eau du puits se vend pour du vin;
La marchande encore se plaint :
Plus de marc pour les cochons."
Son quatrain achevé, il s'en fut, et le puits ne donna plus que de l'eau...
Une Parabole sur les Etudes

Le Prince Ping du royaume de Jin dit un jour à son maître de musique, Shi Kuang, qui était aveugle:
- J'aimerais beaucoup lire de bons livres et étudier, mais j'ai soixante dix ans sonnés, c'est trop tard pour commencer. - Si c'est trop tard, pourquoi ne faites-vous pas allumer les bougies? Lui répondit le maître de musique.
Le Prince s'étonna :
- Je vous parle de choses sérieuses, et vous plaisantez?
Le maître de musique reprit :
- Je ne suis qu'un pauvre aveugle, comment oserais-je plaisanter avec Votre Altesse? Ce que je veux dire c'est que quand on commence à étudier dans sa jeunesse, c'est comme le soleil radieux du matin; quand on commence dans l'âge mûr, c'est comme le soleil de midi qui atteint le zénith et quand on commence sur ses vieux jours, c'est comme la flamme des bougies, lumière bien faible, il est vrai, mais n'est-ce pas mieux que l'obscurité complète?
- Vous avez parfaitement raison, convint le Prince.
Dix Milles Onces d'Or

Dans l'Etat de Qi vivait un nommé Dong Guochang qui avait l'habitude d'exprimer tout haut ses nombreux désirs. Une fois, il dit qu'il voudrait bien posséder dix milles onces d'or. 

L'un de ses disciples lui demanda s'il consentirait à l'aider si son souhait se réalisait.
- Non, répondit-il, j'aurai besoin de cet argent pour m'acheter une charge officielle.
Ses disciples furent indignés. Ils le quittèrent tous et passèrent à l'état de Song.
Pour s'être trop attaché à ce qu'il ne possédait pas encore. Il a perdu ce qu'il tenait déjà.
Le Phoenix Sculpté

L'artisan Kong Shu était en train de sculpter un phoenix. Il avait à peine ébauché l'aigrette ainsi que les pattes et n'avait pas encore ciselé le plumage. Quelqu'un dit en regardant le travail :
- Cela ressemble à un hibou. Et un autre :
- Cela rappelle plutôt un pélican.

Chacun de rire et on s'accorda pour trouver cette sculpture affreuse et l'auteur sans talent.
Lorsqu'il fut terminé, le phoenix avait une superbe aigrette émeraude qui se dressait, vaporeuse au dessus de sa tête. Ses pattes vermillons avaient des reflets éblouissants, ses plumes chatoyantes semblaient faites du brocart que tissent les nuages au coucher du soleil et sa gorge était couleur de feu.

Un coup de pouce sur un ressort caché fit s'envoler avec un battement d'ailes l'oiseau mécanique et, trois jours durant, on le vit monter et descendre à travers les nuages.

Tous ceux qui avaient critiqué Kong Shu ne tarissaient plus d'éloges sur son oeuvre merveilleuse et son talent prodigieux.
Les Ruses du Chasseur

Le cerf craint le loup, le loup craint le tigre et le tigre craint le grand ours, le plus féroce des animaux. Avec son crâne recouvert de longs poils semblables à une tignasse, marchant debout sur ses pattes de derrière, il est extraordinairement fort et s'attaque même à l'homme. 

Au sud de l'Etat de Chu vivait un chasseur qui, sur sa flûte de bambou, arrivait à imiter toutes sortes de cris d'animaux. Muni d'un arc et d'un petit pot de grès au fond duquel couvaient quelques braises, il se rendait dans la montagne et imitait l'appel du cerf. Croyant retrouver un de leurs frères, des cerfs arrivaient et le chasseur les tuait avec des flèches enflammées.

Un jour, en l'entendant imiter le cri du cerf, un loup accourut. Le chasseur pris de frayeur lança un rugissement de tigre. Le loup s'enfuit, mais un tigre parut. Terrifié, l'homme imita le grognement du grand ours. Le tigre s'en fut, mais croyant rencontrer un de ses semblables, un ours énorme se présenta. Ne trouvant qu'un homme, il se jeta sur lui, le mit en pièces et le mangea.

Aujourd'hui encore, ceux qui se servent d'artifices au lieu de compter sur leurs propres forces finissent toujours par s'attirer un destin semblable à celui du chasseur.
La Naïveté du Jeune Cerf

Un habitant de Linjiang captura un jour un jeune faon et décida de l'élever. A peine eût-il franchi le seuil de sa demeure que ses chiens l'accueillirent en se pourléchant et en frétillant de la queue.
 L'homme furieux les renvoya, mais le sort que ses chiens réservaient au jeune faon devint un sujet d'inquiétude. Alors il présenta tous les jours le faon aux chiens; il le portait dans ses bras, montrant par là à ses chiens qu'ils devaient le laisser en paix. Peu à peu, le faon se mit à jouer avec les chiens qui, obéissant à la volonté de leur maître, fraternisèrent avec lui.

Le faon grandit et, oubliant qu'il était un cerf, crut que les chiens étaient ses meilleurs amis. Ils folâtraient ensemble et vivaient dans une intimité sans cesse grandissante.

Trois années passèrent. Le faon, devenu cerf, vit un beau jour dans la rue une bande de chiens inconnus. Il sortit aussitôt pour s'amuser avec eux, mais ceux-ci le regardaient venir avec un mélange de joie et de fureur. Ils le mirent en pièces et le mangèrent.

En rendant le dernier soupir, le jeune cerf se demandait encore pourquoi il mourait si prématurément.
Le Serpentaire et le Serpent

Un certain serpentaire rencontra un serpent; Il se jeta sur lui et le frappa à coups de bec. 
- Ne me frappez pas! Dit le serpent, tout le monde dit que vous êtes un oiseau venimeux; c'est une mauvaise réputation et c'est parce que vous vous nourrissez de serpents. Si vous ne nous mangez plus, vous n'aurez plus en vous notre venin et vous n'aurez plus mauvaise réputation.
- Vous me faites rire! Riposta l'oiseau, vous autres serpents, vous tuez les hommes en les piquant! Dire que je suis un danger pour les hommes est un mensonge. Je vous mange pour vous punir de vos crimes. Les hommes le savent bien; ils me nourrissent pour que je les défende contre vous.

L'homme sait aussi que ma chair et mes plumes sont contaminées et il s'en sert pour empoisonner son semblable; mais cela n'est pas mon fait. Si l'homme tue avec une arme, est-ce l'arme qu'il faut blâmer ou l'homme?
Moi, je ne veux pas de mal au genre humain. Quant à vous, cachés dans les herbes, vous rampez sournoisement, prêts à piquer l'homme qui vous rencontre.
C'est le destin qui vous a mis aujourd'hui sur ma route; vos mauvais arguments ne vous sauveront pas.
Sur ce, le serpentaire dévora le serpent.
 A quoi bon Flatter

Un homme riche et un homme pauvre causaient ensemble. - Si je te donnais vingt pour cent de tout l'or que je possède, me ferais-tu des compliments? Demanda le premier.
- Le partage serait trop inégal pour que tu mérites un compliment, répondit le second.
- Et si je te donnais la moitié de ma fortune?
- Nous serions égaux; pourquoi te flatter?
- Et si je te donne tout alors?
- Si j'ai toute ta fortune, je ne vois pas pourquoi j'aurais à te flatter!

Le Guérisseur de Bosses

Il y avait une fois un médecin qui se flattait de pouvoir guérir les bossus.
- Qu'un homme soit courbé comme un arc, comme une écrevisse ou comme un cerceau, pourvu qu'il s'adresse à moi, en un jour, je le remets droit, disait-il Un certain bossu fut assez crédule pour ajouter foi à ce boniment et s'adressa à lui pour être débarrassé de sa bosse.

Le charlatan prit deux planches, fit coucher le bossu sur celle qu'il avait posée sur le sol, le recouvrit de la deuxième puis, montant sur cette planche, il piétina son patient à grands coups de talons. Le bossu fut remis droit, mais il mourut.
Comme le fils du mort voulait le traduire en justice, le charlatan s'écria :
- Mon métier, c'est de guérir les bossus de leur bosse; je les rends droits; qu'ils meurent ou non, cela ne me regarde pas !
Un Rêve

On raconte qu'il y avait autrefois un bachelier qui avait plus d'un tour dans son sac. Son professeur était extrêmement sévère; à la moindre incartade, les élèves n'échappaient pas à la bastonnade. Un jour, le rusé disciple fut convaincu de faute. Le maître, bouillant de colère , l'envoya immédiatement quérir et en attendant son arrivée s'assit dans la grande salle.

L'élève entra, et s'agenouillant devant son maître, il dit, sans parler de sa faute:
- Je voulais venir plus tôt, mais j'étais en train de faire des plans pour employer au mieux mille onces d'or qui me sont échues par hasard.
La colère du professeur s'évanouit comme par enchantement lorsqu'il entendit le mot "or".
- D'où te vient cet or ? Demanda-t-il vivement.
- Je l'ai trouvé enfoui dans le sol, répondit l'élève.
- Quel emploi songes-tu en faire ? Poursuivit le maître.
- Je suis d'une famille pauvre, dit l'élève, nous n'avons pas de propriété familiale, aussi avons-nous décidé, ma femme et moi, de consacrer cinq cents onces d'or à l'achat de terres, deux cents onces pour nous bâtir une maison, cent pour la meubler et cent pour acheter des esclaves. Des cents onces restantes, la moitié me servira à acheter des livres, car désormais je veux travailler avec ardeur, et j'offrirai l'autre moitié à mon professeur pour le remercier des enseignements qu'il m'a donnés. Voilà mes plans.
- Est-ce possible ? Je ne suis pas digne d'un tel hommage! Dit le professeur.

Il convia son élève à un somptueux repas. Tous deux parlaient et riaient et buvaient mutuellement à leur santé. Dans un état voisin de l'ivresse, le maître demanda soudain:
- Tu es venu précipitamment; as-tu au moins mis l'or dans un coffret avant de partir?
L'élève se leva pour répondre:
- Hélas! Je n'avais pas encore tout à fait terminé mes plans que ma femme m'a réveillé en se retournant et, quand j'ai ouvert les yeux, l'or avait disparu! Je n'ai pas eu besoin de coffret...
Stupéfait, le professeur demanda :
- L'or dont tu parlais, c'était donc un rêve?
- Mais oui! Dit l'étudiant.
Le professeur sentit une violente colère l'envahir, mais comme son élève était son invité, il ne put s'emporter contre lui. Lentement, il prononça:
- Tu as de bons sentiments pour ton professeur, dans tes rêves; quand tu feras réellement fortune, tu ne m'oublieras certainement pas.
Et de nouveau, il emplit le verre de son disciple.
L'Homme qui ne voulait pas avoir Tort

Dans l'état de Chu vivait un homme qui ignorait où pousse le gingembre. - Le gingembre pousse sur les arbres, dit-il.
- Il pousse sur le sol, lui répondit-on.
L'homme s'entêta :
- Venez avec moi, nous allons interroger dix personnes différentes, dit-il à son interlocuteur. Je vous parie mon âne que le gingembre pousse sur les arbres.
Les dix personnes successivement interrogées firent toutes la même réponse:
- Le gingembre pousse sur le sol.
Le parieur perdit contenance.
- Tiens, prends mon âne, dit-il au gagnant, n'empêche que le gingembre pousse sur les arbres!

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