La légende chinoise de l'Enfant Pêcheur


Il était une fois un vieux pêcheur qui ne possédait qu'un bateau et un filet. Il pêchait sur la rivière du Dragon la journée et dormait dans son bateau la nuit au bord de la rivière. Il vivait pauvrement.
  Cette année-là, au mois de juin, au moment des crues, l'eau avait rempli le lit de la rivière. Les vagues déferlaient en faisant un grand bruit. Le vieux pêcheur qui avait passé sa vie à pêcher savait bien que si l'on pêchait au moment des crues, le bateau risquerait d'être renversé par les vagues.

Le vieux pêcheur était inquiet en voyant que les jours s'écoulaient sans qu'il pût travailler, et que le niveau des eaux ne baissait toujours pas. N'ayant pas envie de dormir, il s'assit au bord de la rivière et fixait ses yeux sur l'eau.

Il vit tout à coup s'élever de l'eau un feu doré scintillant. Etonné, le vieux pêcheur se demanda:
- Qu'est-ce que c'est? Un monstre aquatique ou un trésor?
Il se dit alors:
- J'entends dire depuis mon enfance qu'il y a un trésor dans cette rivière. Celui qui ne pêche pas souvent ou qui est peureux n'a aucune chance de le voir, et encore moins de l'avoir. Est-ce que moi, je l'ai rencontré, ce trésor? Si c'est vrai, je le repêcherai.
Ce feu doré scintilla pendant trois nuits et le vieux pêcheur concentra toute son attention sur le feu. Il se dit le troisième soir:
- Eh bien, je vais essayer de voir ce qu'il y a.
Par précaution il allongea la tirette du filet et en attacha le bout autour de son corps . Il ne craignait plus ainsi les grandes vagues et conduisit son bateau à la rencontre des crêtes des vagues vers le feu doré.


Il agissait au risque de sa vie ! Une fois dans l'eau, le bateau se balançait entre les crêtes des vagues et le corps du vieux pêcheur ruisselait de sueurs froides. Cependant il se maîtrisa aussitôt et continua à se diriger vers le feu doré.
  Lorsqu'il en fut assez proche, il ouvrit le filet et le lança sur le feu. Grâce à sa longue expérience, il atteignit la cible du premier coup. Le feu s'éteignit. Tandis qu'une vague impétueuse faisait balancer le bateau, l'eau y pénétra. Le bateau risquait de couler lorsque le vieux pêcheur, le coeur battant, réunit toutes ses forces et rama vers le rivage en serrant les dents et en fermant les yeux.

Après un grand effort, le bateau se trouva au bord de la rivière. Le vieux pêcheur essuya sa sueur, se détendit en se disant:
- Eh bien c'était dangereux!
Il attacha son bateau, écopa l'eau qui était dedans, se détache de la corde et tira doucement le filet.
Qu'y avait-il dans le filet? C'était un vase de pêche de jade blanc, de dimension normale. Une paire de poissons rouges autour desquels se déployaient de fines rides d'eau étaient sculptés sur le fond du vase. Une tige s'allongeait jusqu'au bord du vase et deux larges feuilles vertes de lotus soutenaient une grosse fleur de lotus rose sur laquelle était assis un enfant pêcheur. Deux chignons sur la tête, portant une veste rouge et un pantalon vert, les pieds nus, cet enfant tenait une canne à pêche dans ses bras.

C'était un objet original. Au clair de la lune, le vieux pêcheur l'examina avec soin et il lui plut tellement qu'il ne voulut pas le lâcher. Bien que L'Enfant Pêcheur fût sculpté sur le bord du vase, le vieux pêcheur avait l'impression qu'il le regardait. Transporté de joie, il rit aux éclats.

On apprécie toujours un objet original la première fois qu'on le regarde. Puis, avec le temps, on ne le trouve plus original. Bien que le vieux pêcheur aimât ce vase de pêche, jugeant qu'il ne servait à rien, ni à manger, ni à boire, il le cacha dans l'herbe sur le talus au bord de la rivière. Au moment du reflux, il pêcha, comme d'habitude, et s'endormit profondément le soir après une journée de travail.


La nuit, réveillé par un bruit, le vieux pêcheur ouvrit les yeux et vit s'élever des éclairs dorés du vase qu'il avait mis dans l'herbe. Au milieu des éclairs, la fleur de lotus devint brusquement vivante. La tige soutenait les feuilles et la fleur rose, les haussait petit à petit en s'allongeant.
  Elle se courba tout à coup, les feuilles et la fleur de lotus se posèrent sur l'herbe. A ce moment-là, L'Enfant Pêcheur devint aussi vivant et grandit. Il se redressa sur la fleur, une canne à pêche sur l'épaule, ouvrit la bouche, sourit au vase tout en chantant :


Balance-toi, vase de pêche,
Coule, coule, eau limpide!

Le vase de pêche se balança alors tout seul et de l'eau limpide en surgit. Ensuite, L'Enfant Pêcheur recommença à chanter en souriant :


Coule, coule, eau limpide,
Nagez, nagez, poissons rouges!

L'eau se rida tout de suite et forma un tourbillon. Les deux poissons rouges devinrent vivants et nagèrent joyeusement dans le vase. L'Enfant Pêcheur reprit son chant :


Sautez, sautez, poissons rouges,
Jaillis, jaillis, eau limpide.

Les deux poissons rouges sautèrent quelques dizaines de cm hors de l'eau, puis tombèrent dans l'eau et recommencèrent. L'eau limpide jaillit en même temps et déborda du vase. A ce moment-là, L'Enfant Pêcheur prit la canne à pêche, la secoua légèrement quand les deux poissons rouges sautèrent en l'air et en pêcha un.
Puis il leva la canne. La rabaissa, le poisson rouge retomba brusquement dans l'eau: "Plouf", le poisson rouge retombé souleva de l'écume dorée qui se dispersa à l'extérieur du vase pour se transformer en billes d'or qui roulèrent sur l'herbe.

L'Enfant Pêcheur éclata de rire. Il accrocha l'un des poissons rouges, le secoua un moment en riant, puis le lâcha. Ensuite il accrocha l'autre poisson, le secoua également, en riant, puis le lâcha de nouveau, l'eau jaillit et de l'écume se souleva, et ainsi de suite.

Cela dura jusqu'à l'aube. L'Enfant Pêcheur avait l'air fatigué et cessa de jouer: il lâcha le poisson, tint la canne dans ses bras, s'assit sur la fleur de lotus, commença à chanter, souriant au vase :


Apaise-toi, eau limpide,
Calmez-vous, poissons rouges!

L'eau cessa de jaillir et les poissons rouges de sauter. La fleur de lotus s'éleva de l'herbe, rapetissa et recula jusqu'à l'intérieur du vase. Les éclairs dorés s'éteignirent en même temps. Puis, le jour se leva.


Retenant son souffle, le vieux pêcheur, le cou tendu, les yeux grands ouverts, avait regardé le phénomène toute la nuit. A ce moment-là, il se rendit sur l'herbe, prit le vase de pêche - c'était toujours le même vase! Cependant, dans l'herbe autour du vase, des billes d'or reposaient au fond de l'eau stagnante.
  Le vieux pêcheur en ramassa un tas. Il fut si heureux qu'il ne savait pas comment s'exprimer. Il acheta alors avec des billes d'or les objets dont il avait besoin et mena dès lors une vie aisée. Le vase fournissait toujours des billes d'or la nuit. Le vieux pêcheur, après avoir travaillé laborieusement toute sa vie, commençait à avoir une vie de plus en plus large.

Un jour, le vieux pêcheur prit des billes d'or et alla au marché pour faire des commissions. En ville, lorsqu'il sortit ses billes pour payer, arriva un pasteur étranger qui passait par là en se pavanant. A la vue des billes d'or, il s'arrêta, en prit quelques-unes, les examina pendant un long moment et demanda en avalant sa salive:
- Vieillard, d'où viennent tes billes d'or?

Le vieux pêcheur, qui ne savait pas mentir, lui raconta comment il les avait obtenues. Le pasteur hôcha la tête en riant et demanda ensuite l'adresse et le nom du vieux pêcheur. Après quoi, il lui rendit les billes et s'en alla.
Le lendemain, ce fut la catastrophe.

Après le petit déjeuner, le vieux pêcheur allait partir à la pêche lorsque soudain apparurent deux personnes qui lui dirent :
- Vieillard, notre seigneur le préfet nous envoie te convoquer. Viens avec nous et apporte ton vase de pêche!
- Comment? Qu'est-ce qui s'est passé; je n'ai ni volé, ni cherché noise à personne, ni violé la loi, pourquoi me convoquer?
- Quelqu'un a porté plainte contre toi.
- Qui? A moins que ce soit le roi Dragon, parce que j'aime pêcher dans la rivière du Dragon.
- Hé, hé, ne rêve pas Ce n'est pas le roi Dragon, même pas un Chinois. La personne qui t'a accusé, notre seigneur le préfet n'ose pas la contrarier. Allons-y, tu le sauras au tribunal.
Cela dit, ils amenèrent le vieux pêcheur avec son vase de pêche.


Au tribunal, le vieux pêcheur vit que le préfet était assis et parlait respectueusement avec le pasteur étranger qu'il avait rencontré. Il se dit alors:
"N'est-ce pas cet étranger qui m'a accusé?" A ce moment-là, le préfet, en le voyant arriver, commença l'interrogatoire:
- Vieillard, as-tu un vase de pêche de jade blanc?
- Oui
- Sur le fond du vase, il y a des motifs représentant une paire de poissons rouges, de fines rides d'eau, une grosse fleur de lotus sur laquelle est assis un enfant pêcheur, n'est-ce pas ?
- C'est ça.
- La nuit, la fleur de lotus pousse, L'Enfant Pêcheur devient vivant, l'eau jaillit, les poissons rouges sautent et les éclaboussures deviennent des billes d'or, n'est-ce pas ?
- Exactement.
- Eh bien, c'est bon, continua le préfet en indiquant du doigt le pasteur étranger assis à côté de lui, vieux voleur, tu es bien audacieux pour avoir volé le trésor du pasteur! Il t'en a accusé: le vase de pêche lui appartient. Dis la vérité, comment l'as-tu volé, vite avoue!
- Qui est voleur! C'est à moi, ce trésor. Comment oses-tu dire que c'est moi qui l'ai volé! Comment peut-on être injuste à ce point! Je n'ai jamais vu un étranger aussi impudent de toute ma vie!

Très en colère, le vieux pêcheur expliqua en détails comment il avait repêché le vase de pêche dans la rivière et qu'il avait rencontré le pasteur la veille au marché.


En entendant cela, éberlué, le préfet salua le pasteur les mains jointes et lui dit tout en souriant:
- Mon révérend, comment faire selon vous? - C'est simple: je vais l'interroger, répondit le pasteur. Puis, se donnant de grands airs, il s'adressa au vieux pêcheur:
- Vieillard, nous sommes venus en Chine pour propager la religion - ce qui est une bonne action, nous ne volons pas, ni ne cherchons à vous extorquer. Nous sommes justes. Le vase de pêche est un objet que j'ai apporté de mon pays, il a été fabriqué chez nous. Je l'avais mis dans l'église lorsque je suis venu. mais il a disparu ces derniers jours et je n'ai pas pu le retrouver. Hier, j'ai reconnu les billes d'or et ça m'a fait penser à mon trésor. Tu l'as volé, tout est clair maintenant, qu'est-ce que tu as à dire?
Hors de lui, le vieux pêcheur répliqua:
- Quel pasteur tu es! Tu as l'air bien cultivé, mais ce que tu dis ne vaut pas mieux que de la crotte!
Le pasteur tourna la tête vers le préfet et lui dit:
- Ce Chinois est non seulement un voleur, mais encore un insolent. Il faut le punir sévèrement. Qu'il me rende le vase et dise la vérité: Cela ne suffit pas, il faut le condamner et en faire une proclamation officielle. Voilà ce qui est raisonnable.
Le préfet poursuivit:
- Le pasteur a raison!
Puis il cria au vieux pêcheur:
- Vieux voleur, présente-lui le vase de pêche et dis-nous la vérité.
Le vieux pêcheur répondit:
- Qu'est-ce que tu veux que je présente et que je dise? Qui est le voleur? Ce vase était dans une rivière chinoise et a été repêché par un Chinois au risque de sa vie. pourquoi m'obliges-tu à le donner à un étranger? Pourquoi me forces-tu à avouer un vol!
Très fâché, le vieux pêcheur sortit le vase, et, le tenant à la main, indiqua du doigt L'Enfant Pêcheur sur le fond du vase en demandant au pasteur:
- Dis-moi, tu prétends que ce vase est fabriqué chez vous. Puisque c'est un produit étranger, pourquoi cet enfant est-il habillé à la façon chinoise et a-t-il un visage chinois?


A cette question, le pasteur ainsi que le préfet ne surent que répondre et se turent. Ils se regardèrent consternés pendant un long moment sans savoir que faire.
  Embarrassé, le pasteur ne chercha plus à se donner raison, il se redressa promptement et dit au vieux pêcheur:
- Je veux ton vase, tu es obligé de me le donner!
Le préfet, lui aussi, se mit en colère, frappa la table avec un morceau de bois pour intimider l'accusé et lui cria:
- Ne pas lui donner, c'est violer la loi!
Plein de dégoût, le vieux pêcheur tremblait de colère. Les mains agîtées, il s'évanouit et le vase tomba par terre, "crac", il se brisa en mille morceaux.

Chose inattendue : L'Enfant Pêcheur sauta tout vivant des débris, agita sa canne à pêche, l'hameçon accrocha la mâchoire supérieure du pasteur. Ensuite il la tira, l'agita et alors le pasteur s'éleva en l'air sans savoir que faire, en tendant les bras et les jambes et en poussant des cris. L'Enfant Pêcheur secoua brusquement la canne; houp! le pasteur fut lancé dans le ciel et s'éloigna en exécutant une suite de sauts périlleux.

A ce moment-là, L'Enfant Pêcheur agita de nouveau la canne qui se rapetissa aussitôt. Il se prépara à recommencer et le préfet, croyant que c'était à son tour, se glissa sous la table. Il eut si peur qu'il en mourut.
L'Enfant Pêcheur aida le vieux pêcheur à se relever, ce dernier reprit petit à petit connaissance et tous les deux sortirent du tribunal pour aller on ne sait où.

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