La légende de Xingni, héroïne de de la minorité chinoise Dong


Dans l'Antiquité, dans le village de Danyang, il y avait un couple dont le mari, très travailleur s'appelait Dunang et sa belle épouse, Yangxiang. Ils étaient mariés depuis plusieurs années, pourtant ils n'avaient toujours pas d'enfant. Ils rêvaient jour et nuit d'avoir un enfant.
  Un soir, Yangxiang vit en rêve une étoile tomber sur le toit de sa maison et une vieille dame amener une belle fille dans sa maison. Très heureuse, elle alla à leur rencontre. Au moment où elle voulait dire quelques mots, elle se réveilla.

Depuis lors, elle attendait un enfant. Au bout d'un certain temps, elle mit au monde une fille nommée Xingni, c'est-à-dire la "Fée".

La petite fille avait un joli nom et elle-même était encore plus belle. A l'âge de trois ans, elle apprit à chanter avec sa maman. A cinq ans, elle pratiqua les arts martiaux avec son papa. A onze ans, elle mena paître des boeufs dans la montagne.
Quand elle saisissait un taureau par les cornes, celui-ci n'osait pas lui désobéir. A treize ans, elle était déjà habile dans tous les domaines: culture des champs, tissage, chant et danse. Elle était donc très réputée dans la région au bord du Duliujiang et tout le monde l'appréciait.

Les pauvres avaient plaisir à la rencontrer, tandis que le riche propriétaire du lieu nourrissait à son égard un très mauvais dessein. Cet homme, nommé Guoshun qui avait déjà six femmes avait encore décidé d'épouser Xingni à la vue de sa beauté.

Il prétendit que Dunang, père de Xingni, était en dettes avec lui, et pour se faire rembourser, il lui ordonna d'aller chercher une peau de tigre de 4 mètres de long.

Obligé d'obéir, Dunang prit son fusil et partit pour la chasse. Les peaux du premier et du deuxième tigre qu'il attrapa n'étaient pas assez longues. Au bout de plusieurs dizaines de jours, il rencontra un tigre énorme sur lequel il tira trois coups de feu; le fauve fut tué. Le chasseur mesura sa peau : elle faisait justement 4 mètres.


Pourtant, le propriétaire Guoshun ne s'avoua pas satisfait.
- La peau du tigre est assez longue, mais elle a trois trous. Je ne peux pas m'en servir. Va m'en chercher une autre sans trous. Ne pouvant refuser, le chasseur repartit dans la montagne. Pour avoir une peau sans trous, il fallait tuer un tigre avec un bâton ou même à mains nues. Il en tua ainsi plusieurs qui, tous, n'étaient pas assez longs. Finalement, il vit un tigre géant, combattit contre lui et finit par être dévoré.

Le propriétaire Guoshun dit alors :
- Puisque je n'ai pas pu avoir un matelas de peau du tigre, je veux que Yangxiang le remplace.
Se trouvant dans une impasse, Yangxiang, tenant embrassés les restes du cadavre de son mari, se jeta au fond d'un ravin de la montagne. La pauvre Xingni était ainsi devenue orpheline.
Le propriétaire Guoshun dit encore:
- Puisque Yangxiang est morte, que Xingni la remplace.

A cette nouvelle, tous les villageois s'inquiétèrent du sort de Xingni. Guangong, un vieillard plein de bonté, lui proposa d'aller chez son oncle à Liujia et l'accompagna en cachette jusqu'à la sortie du village de Danyang.
Xingni fit ses adieux à Guangong et se dirigea vers Liujia. Après avoir franchi plusieurs collines et montagnes, comme elle arrivait dans une vallée, un tigre énorme se jeta sur elle. Elle s'enfuyait à la hâte quand elle entendit siffler une flèche: Le tigre tomba à terre, frappé à mort.

C'était un chasseur nommé Xingdao qui l'avait tué. Xingni remercia ce jeune chasseur et reprit son chemin pour aller chez son oncle. Là, Xingni allait travailler avec ses amis dans la montagne pendant la journée, et chantait avec eux le soir. Le jeune chasseur Xinddao venait souvent chanter en leur compagnie; il devint bientôt le bien-aimé de Xingni. Elle lui offrit une mèche de cheveux et un peigne en argent. En échange, Xingdao enleva le bracelet-talisman qui devait protéger sa vie et l'offrit à son amour.

Le pont et la lune furent témoins de leurs serments. Après l'échange des gages, Xingni chanta une chanson pour Xingdao :


Les chrysanthèmes en fleurs dorent la terre,
Ce n'est pas facile de trouver en ce monde un véritable amour;
Je me fiance avec mon bien-aimé.
Nos fiançailles ne reposent que sur notre amour.

Tout heureux, Xingdao lui donna la réplique :


Un fruit sera partagé en deux.
Un bol d'eau que nous boirons ensemble;
Notre amour durera toute notre vie,
Sous le même toit nous vivions;
Nous serons enterrés dans la même tombe lors de notre mort.

La pleine lune devint un croissant, et ce dernier peu à peu retrouva sa plénitude. Voilà le 15 du 8e mois lunaire, Fête de la Lune. Les jeunes filles et les garçons, les vieillards et les enfants, venus de toutes parts, se réunissent pour un concours de pipeau et de chant.

Parmi des milliers de joueurs de pipeau, c'était Xingdao le meilleur. Parmi des milliers de chanteuses, c'était Xingni la meilleure. Lorsqu'elle chantait, les nuages blancs se figeaient dans leur marche et les oiseaux cessaient de s'envoler. Les gens se pressaient autour d'elle.

A ce moment-là, le propriétaire Guoshun arriva en compagnie de ses serviteurs. A la vue de Xingni, il fut à la fois surpris et content. Quant à Xingni, hors d'elle, elle chanta :


Certaines gens mangent des gâteaux de lune sucrés,
D'autres mangent des laiterons amers;
Qui sait le jour de la mort du propriétaire,
Quand il aura la bouche pleine de boue et le visage vers le ciel.

La foule éclata de rire. Le visage de Guoshun changea de couleur. Il s'écria:
- Je te cherche depuis longtemps, alors tu es là et tu oses m'injurier. Allez, attrapez-là.
Une dizaine de ses serviteurs se jetèrent sur la jeune fille et l'emmenèrent.


Guoshun enferma Xingni dans une maison et ordonna à son majordome Wangshu de lui apporter de nouveaux habits. Wangshu dit à Xingni:
- Ne sois pas si bête, jeune fille, le nuage du bonheur plane sur ta tête. Tu plais au seigneur. Il veut t'épouser comme sa septième femme. Tu goûteras un grand bonheur. En entendant cela, Xingni, furieuse, voulait se battre à mort avec le propriétaire en recourant aux arts martiaux qu'elle avait appris de son père lorsqu'elle entendit un signal secret de Xingdao sous les fenêtres:
- Xingni, ne sois pas imprudente. Il faut chercher un stratagème pour combattre les tigres et les loups.
Elle se retint alors et dit à Wangshu :
- Dans ce cas, il faut organiser un grand festin selon ma volonté. Wangshu donna entièrement son accord.

Wangshu mit Guoshun au courant de cette nouvelle. Le propriétaire fut transporté de joie et fit tuer des porcs et des moutons pour préparer un grand festin.

Le jour du mariage, la maison était bondée d'invités, on eût dit des mouches sur des bouses de vache. Chacun invitait le nouveau marié à boire comme de petits singes vénérant leur roi. Complètement soûl, Guoshun entra en zigzaguant dans la chambre nuptiale. Il dit tout en vomissant:
- Je m'excuse, je m'excuse, ma nouvelle épouse!
- Va te coucher! Allez, vite au lit! répondit Xingni qui était en train de balayer le sol.

Guoshun s'allongea sur le lit en grognant. Xingni prétendit aller aux toilettes et Guoshun ne s'en méfia pas. Xingni sortit de la maison, mit quelques troncs de bambous devant la porte, rejoignit Xingdao derrière la maison et se sauva avec lui en passant par-dessus le mur.


A son réveil, constatant que la nouvelle mariée n'était pas revenue dans la chambre, Guoshun se hâta de s'habiller et de sortir de la maison. A la porte, il tomba par terre en marchant sur les bambous, roula de haut en bas de l'escalier, les quatre fers en l'air, et ne put plus se redresser. Il cria:
- Venez ! Courez vite à sa poursuite !
Mais Xingdao et Xingni avaient déjà franchi plusieurs montagnes. Après avoir franchi 99 collines et 99 rivières, Xingdao et Xingni arrivèrent au village de Luoshi au pied d'une grande montagne.
Il y avait là une bonne veuve qu'on appelait grand-mère Tianba. N'ayant pas d'enfant, elle vivait toute seule et voulut bien garder les jeunes gens chez elle. Xingdao la prit pour mère, et Xingni pour belle-mère.
Dès lors, les trois membres de cette famille travaillaient ensemble et menaient une vie paisible.

Au bout de quelques années, Xingni avait mis au monde deux filles dont l'aînée s'appelait Jiaju et la cadette Jiamei. Elles allaient souvent avec leur mère prendre un bol de bouillie de farine au village ou cueillir des fraises à la montagne. Xingni et Xingdao travaillaient laborieusement aux champs. Les trois générations menaient une vie heureuse.

Un jour, Xingni et Xingdao étaient en train de creuser un étang à poissons lorsque soudain ils dégagèrent une poignée de sabre. Xingni la tira du sol: Une lumière dorée se répandit à la surface de l'étang et un bruit de tonnerre éclata au fond de l'eau. Là d'où était sorti le sabre jaillissait une fontaine limpide; Xingni regarda l'arme de plus près. Sur la poignée se lisait l'inscription : "Sabre du Trésor des neuf Dragons."

C'était donc un cadeau offert par le roi Dragon. Ce sabre pouvait briser la pierre, revêtir de verdure des montagnes arides et faire couler de l'eau sur leurs pentes. Ils s'en servirent pour défricher la montagne, y planter des arbres et installer des terrasses sur ses flancs pour cultiver la terre.

Les arbres qu'ils avaient plantés grandissaient rapidement. La rizière se couvrait vite d'épis d'or. L'étang regorgeait de poissons. Ils avaient des vivres en abondance et menaient une vie de plus en plus heureuse.
Leur nourriture et leur habillement assurés, toutes les familles du village chantaient en buvant dans leurs maisons de bois. Le soir, on jouait de la guitare chinoise dans la tour du tambour. Le village de Luoshi devenait le village du bonheur.

Ayant appris qu'il y avait un étang des neuf Dragons dans le village de Luoshi au fond duquel se trouvait un puits à l'eau limpide, et qu'on pouvait y récolter quantité de poissons, le propriétaire Guoshun voulut s'en emparer.

A la tête de ses valets, il arriva à la tour du tambour, fit battre le tambour et dit au public:
- L'étang des neuf Dragons fait partie du trésor de ma famille. C'est intolérable que vous en jouissiez sans ma permission! Je veux bien vous excuser à condition que vous me payiez comme fermage un million de livres de céréales et 5000 livres de poissons par an. Demain, envoyez quelqu'un chez moi pour dresser un acte. On verra qui osera me désobéir!

Puis, il s'en alla en se déhanchant. Comme la grand-mère Tianba s'approchait de lui pour essayer de le raisonner, Guoshun l'envoya rouler à terre d'un coup de pied. Tout le monde en fut indigné. Comment faire? Tous les villageois discutaient dans la tour du tambour d'un air sombre.
Après avoir réfléchi, Xingni prit la parole:
- Il faut que neuf jeunes hommes viennent avec moi.


Neuf jeunes costauds et courageux, y compris Xingdao, furent choisis. Tous les dix partirent la nuit même, traversèrent montagnes et rivières pour arriver au village de Danyang. Connaissant bien la maison du propriétaire, Xingni posta chacun dans un endroit et entra elle-même dans la chambre de Guoshun.

Tiré de son rêve, les jambes tremblantes, Guoshun supplia Xingni:
- Prenez tout ce que vous voulez, des céréales, de l'or, mais faites-moi grâce de la vie.
- Je ne veux ni céréales, ni or. Je veux que tu apposes un sceau sur ce papier en promettant de ne jamais revenir au village de Luoshi. Choisis ce que tu préfères, les fermages ou la vie, répondit Xingni.
Puis, elle leva le sabre magique du Dragon et coupa une chaise en bois de santal en deux devant elle. Le propriétaire dressa docilement un acte et le passa à Xingni, et celle-ci lui ordonna de se tourner contre le mur et de compter jusqu'à 100 avant de se retourner.
Le propriétaire terrifié obéit; quand il tourna la tête, Xingni et les neuf jeunes étaient déjà sortis du village de Danyang.

Le propriétaire Guoshun était furieux. Le lendemain, il réunit tous ses serviteurs, recruta des soldats et acheta des armes. Il voulait écraser le village de Luoshi, capturer Xingni et son époux, et les tuer. Etant au courant de ses desseins, Meini et Meimu, deux servantes du propriétaire, en informèrent Xingni. Devant la menace de l'attaque du propriétaire, elle battit le tambour pour réunir les villageois de Luoshi et discuter des moyens de se défendre.

Une troupe de volontaires fut organisée. Ils décidèrent finalement de porter le premier coup pour avoir le dessus. Xingni, à la tête de la troupe nouvellement organisée arriva la nuit même au village de Danyang et le fit encercler. Xingni, accompagnée de quelques soldats, pénétra dans la chambre de Guoshun, le prenant au dépourvu.
Xingni lui montra l'acte, tout en disant:
- L'autre jour, tu as signé en promettant de ne plus demander les fermages, ni d'offenser les gens. Maintenant, tu manques à ta promesse, mon sabre ne le tolérera pas.
Puis d'un coup de sabre, elle fendit Guoshun en deux. Le majordome Wangshu, à la tête des autres serviteurs, demanda alors grâce:
- Ne me tuez pas, je suis prêt à vous offrir mes services.
La troupe de Luoshi lui fit grâce de la vie et ouvrit le trésor et le grenier de Guoshun pour distribuer ses biens aux pauvres.


Guoshun avait un fils nommé Dinglang qui était mandarin dans une autre localité. A la nouvelle de la mort de son père, il se hâta d'intenter un procès auprès de la préfecture. Mis au courant de l'insurrection du village des Dong, dirigée par une femme, le préfet fut énormément surpris et envoya huit milles soldats, sous le commandement de Dinglang, encercler le village de Danyang.
  Arrivées dans la région des Dong, ces troupes massacrèrent des habitants, pillèrent et brûlèrent des maisons. Cependant, une fois entrées dans les villages des Dong, elles furent attaquées de partout: Des soldats étaient blessés par des aiguilles de bambous, d'autres percés de flèches.

Xingni brandit son sabre et tous les ennemis qu'elle touchait de sa lame étaient tués. Au bout de sept jours et de sept nuits de combat, Xingni et sa troupe évacuèrent le village de Danyang et s'installèrent dans la montagne près du village.

Croyant que les insurgés s'enfuyaient, les troupes de Dinglang se jetèrent à leur poursuite en désordre dans la montagne. Sur ces entrefaites, Xingni leva son sabre, perça la montagne de pierres d'oùu jaillirent des milliers de sources. Ce déluge submergea les troupes ennemies qui ne pouvaient trouver un endroit pour s'abriter.
Elles furent réduites à la fuite. Alors les enfants s'habillèrent de neuf et les vieux avaienty le visage tout souriant. Tous les villages étaient en liesse et tous les Dong dressaient fièrement la tête.

Sur la place, devant la tour du tambour, les jeunes filles dansaient tandis que les garçons jouaient du pipeau. Xingdao, Xingni et leurs filles Jiamei, Jiaju étaient tous là. Ils s'adonnèrent de si bon coeur au chant et à la danse qu'ils en oublièrent de garder sur eux le sabre magique qui était resté accroché au mur chez eux.

A leur insu, des éclaireurs ennemis s'y infiltrèrent et volèrent le sabre, sur lequel ils versèrent des excréments et du sang de chien, de tel sorte que le sabre du trésor perdit sa puissance magique.


Quant à Dinglang, après avoir essuyé la défaite, il adressa un rapport sur l'insurrection des Dong à l'Empereur. Ce dernier envoya 80 000 soldats attaquer le village des Dong.
  Xingni, à la tête de son armée, vint à la rencontre des ennemis. Comme le sabre avait perdu sa puissance magique, le combat était très dur. L'époux de Xingni, Xingdao fut frappé d'une flèche lancée traîtreusement par Wangshu.

Le combat dura neuf jours et neuf nuits. Bien que Xingni ait tué Wangshu, elle fut obligée de battre en retraîte avec son armée devant un ennemi supérieur en nombre. Ils se dirigèrent vers Badong et Jiudong tout en résistant contre les ennemis qui les attaquèrent sur leur front et sur leurs arrières dans les chemins de montagne.

Toute la route était semée de flaques de sang. L'armée héroïque des Dong abandonna le village et escalada un escarpement pour tenir jusqu'au bout. Encerclés dans une forêt dense, les vivres vinrent à manquer. Pour boire, rien que de l'eau de la pluie; pour manger, rien que des patates sauvages.

Au bout de 99 jours, les soldats moururent l'un après l'autre, il ne restait que Xingni et ses deux filles. Les troupes ennemies s'approchaient petit à petit, criant :
"Saisissons-les vivantes!"

Xingni monta au sommet de la montagne, regarda la terre de son pays natal, avec le regret de s'en séparer, puis prenant ses deux enfants dans ses bras, elle se jeta dans l'étang du Dragon aux eaux profondes au pied de la haute falaise.

Les troupes impériales les poursuivirent jusqu'au bord de l'étang, mais elles ne virent que trois carpes rouges nageant dans l'eau limpide. Elles y jetèrent du poison. Mais les carpes rouges ne vinrent pas flotter à la surface; on vit au contraire trois coqs dorés s'élever de l'eau jusqu'au ciel en déployant leurs ailes.

Dès lors, Xingni disparut. Si elle vivait encore, nul ne savait où elle était. Si elle était morte, elle vivait toujours au coeur des Dong. Pour perpétuer son souvenir, dans tous les villages, on construisit des temples et des tombes en pierre sur lesquelles étaient plantés le cyprès ou l'osmanthe.

Au moment des fêtes, on célèbrait un culte dans ces temples. A l'heure actuelle, on retrouve des traces de cette légende dans les villages des Dong. Xiama, Shasui et Satang sont tous des noms donnés à la "grand-mère respectable" - Xingni, l'héroïne légendaire qui, à la tête des Dong, osa résister contre la force d'un despote.

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