La légende du dragon de Cuokai


Il y a bien des années, un petit serpent noir nagea jusqu'à Miaoyutan (Terre des Temples) au sud du mont Wu, dans la province du Sichuan. Voyant sur la pente une ancienne grotte calme et, très curieux, il y entra en rampant.
  Du plafond de la grotte pendaient beaucoup de stalactites de formes bizarres, ressemblant à des oiseaux ou à d'autres animaux; du sol s'élevaient de belles stalagmites; et sur une grande stalactite au centre, l'eau d'une source coulait et tombait dans un grand bassin carré, avec un tintement aussi agréable que la musique de guqin (instrument de musique à sept cordes).

Le petit serpent était tout étonné; une chauve-souris qui habitait là lui dit :
- C'est le bassin du Dragon. on dit qu'il y a mille ans, un petit serpent ayant bu chaque jour de l'eau de ce bassin, devint plus tard un Dragon et qu'ensuite, il partit dans la mer.
- Je voudrais bien aussi devenir un Dragon! dit le petit serpent noir. Puis-je m'installer ici pour m'y essayer ?
Les chauves-souris acquiescèrent.

Il s'installa donc et but chaque jour de l'eau dans le bassin pour se fortifier. Trois cents ans passèrent, il devint un python aussi gros qu'un seau; encore trois cents ans et des écailles couleur d'or lui poussèrent sur tout le corps, il commença à espérer; il continua à s'exercer trois cents ans de plus, et deux cornes de Dragon, blanches comme le jade, lui poussèrent sur la tête.

Se voyant presque devenu Dragon, il sentit son coeur s'emplir de joie. Les chauves-souris, enchantées d'avoir un tel ami, vinrent le féliciter de sa réussite.
Une petite chauve-souris, pleine d'admiration, s'approcha timidement, et, en regardant ses écailles brillantes et en touchant ses hautes cornes, lui demmanda:
- On dit que le Dragon peut exhaler des nuages et faire jaillir de l'eau. Peux-tu aussi le faire?


Très content de lui, le petit Dragon dit en agitant la tête:
- Bien sûr, puisque je suis devenu Dragon. Si tu ne me crois pas, tu vas voir. Ouvrant sa gueule, il en fit jaillir une colonne d'eau qui creusa quelques trous dans la paroi dure de la grotte et noya bon nombre de chauves-souris. Tout fier, il rit aux éclats et dit:
- Que vous êtes bêtes, je ne vous ai fait voir qu'une infime partie de mes talents!

Les chauves-souris qui avaient eu la chance d'échapper à la noyade pleurèrent tout en le maudissant, et extrêmement irritées, ne voulurent plus considérer comme ami ce petit Dragon extravagant.

Pourtant, sans patte ni queue de Dragon, il ne pouvait descendre dans la mer, il s'exerça alors avec patience trois cents ans de plus, au bout desquels enfin lui poussèrent des pattes très puissantes et une belle queue.
A midi, le 5 du 5e mois lunaire, le moment vint pour lui de descendre dans la mer. En ce jour longtemps attendu, le petit Dragon, très joyeux, sauta dehors, exhala des nuages et fit jaillir de l'eau qui se transforma en pluie, et dans le vent et la pluie, il nagea le long de la rivière. Mais un grand récif qui se dressait au milieu de celle-ci l'empêcha de passer.

"Eh bien, je vais éprouver mes capacités encore une fois", pensa-t-il. Il frappa alors avec force le récif d'un coup de cornes, et dans un grondement les pierres brisées volèrent aux alentours; un chenal s'ouvrit dans la rivière. Il fut très satisfait, et un large sourire lui illumina le visage. A la vue de sa force extraordinaire, poissons, crevettes et crabes l'entourèrent pour le féliciter.

Mais, voyant que ces petits animaux étaient moins grands que ses pattes, il passa devant eux sans leur accorder la moindre attention.


Il se perdit dans les méandres de la rivière, et avait du mal à trouver le chemin de la mer. Au centre de la rivière, une carpe qui venait de revenir de la mer Orientale vit le petit Dragon angoissé, s'approcha vite et lui dit:
- Petit Dragon, veux-tu descendre vers la mer? Je vais te conduire.
"Un Dragon, se faire conduire par un poisson? Ça ferait rire tout le monde", pensa-t-il, et il répondit:
- Pas la peine, je connais le chemin.
Déçue, la carpe s'en alla.
A l'aveuglette, le petit Dragon nagea encore quelques lis, il était très triste. C'est à ce moment qu'il rencontra une vieille tortue qui, à la vue de son visage sombre se hâta de lui dire:
- Petit Dragon, je vis depuis plusieurs millénaires dans cette rivière, j'ai rampé sur toutes sortes de routes, laisse-moi te conduire à la mer!
Le petit Dragon se mit en colère, et voyant qu'elle ne ressemblait ni à un serpent, ni à d'autres reptiles, il ne put se retenir de hurler:
- Diable ignoble, va-t-en!
D'un coup de queue, il la lança au plus haut dans les airs. La vieille tortue retomba presque évanouie, mais sa solide carapace lui sauva la vie.
Le petit Dragon fit des tours et des détours pendant trois jours et trois nuits dans la rivière, sans réussir à trouver le chemin de la mer.
Tout à coup, voyant de loin un homme qui fauchait de l'herbe sur la rive, il pensa :
"On dit que l'homme est l'être le plus intelligent et le plus capable, il connaît certainement le chemin de la mer, mieux vaut aller le lui demander". En s'ébrouant, il se changea en un beau garçon, et s'approcha à grands pas.
- Par où peut-on descendre à la mer ?
- Par là...

Le jeune berger indiqua l'est avec sa faucille, mais il n'avait pas encore expliqué le trajet à suivre que, "crac", le garçon était redevenu Dragon et avait sauté dans la rivière. Stupéfait, le berger s'enfuit.

Comme le petit Dragon se croyait plus âgé et plus intelligent que le berger, il ne voulut pas lui demander plus de détails. Aussi nagea-t-il, non vers l'est, mais vers le nord, qu'avait indiqué le bout du tranchant de la faucille. Pas loin, après un tournant, il se heurta à la paroi sud de la gorge Wu, qui, avec ses hautes cimes dressées comme des épées, lui fit obstacle.


Confiant en ses grandes forces, il lança, avec des coups de tête et de queue, des colonnes d'eau pour abattre les hauts monts.
  Mais si les colonnes d'eau firent bien tomber un peu de roches et d'arbres sur la pente, le granit solide ne fut guère ébranlé. Fou de colère, il poussa des hurlements retentissants et de toutes ses forces battit les monts avec ses cornes.

Ses coups, comme le tonnerre et les éclairs d'un orage, firent trembler les trois gorges; les vagues déferlèrent sur les rives et détruisirent les maisons et les champs à plusieurs centaines de lis alentours.

Partout les gens crièrent au secours et même les singes du mont Wu, victimes de cette catastrophe, s'enfuirent dans des grottes ou sur des gros arbres, tout en criant, pleurant et lançant des malédictions.
Encore plus irrité par les malédictions des singes, le petit Dragon but toute l'eau du fleuve, puis, ouvrant sa gueule, la fit jaillir vers la paroi rocheuse; tous les singes de la montagne, même les temples de l'Esprit tutélaire et du dieu de la Montagne, furent jetés en l'air.

A la vue de tout cela, l'Esprit tutélaire vint le persuader:
- Petit Dragon, suis mon avertissement: dirige-toi vers l'est, vers le soleil, et en descendant le fleuve, tu pourras arriver à la mer.
L'Esprit tutélaire cria jusqu'à en avoir la gorge sèche, mais sans l'écouter, le petit Dragon continuait à lutter de toutes ses forces.
Le dieu de la Montagne s'envola vers les douze cimes pour y faire son rapport à la Déesse du mont Wu, pour qu'elle vînt arrêter cette calamité. Celle-ci se précipita sur une couche de nuages, et cria à son arrivée sur les lieux:
- Petit Dragon, suis mes conseils: va vers l'est, ne frappe pas la montagne; si tu ne contrôles pas ton mauvais caractère, ce sont bien des échecs et des malheurs qui t'attendent.

Mais le petit Dragon ne voulut rien savoir et se battit encore plus fort contre la montagne. Estimant qu'il fallait d'abord sauver les êtres humains, la Déesse sortit de sa manche "une pierre à fixer l'eau" et la lança vers le torrent qui recula immédiatement. Les êtres humains furent sauvés.

La violence des coups que portait le petit Dragon était telle qu'il y perdit ses cornes et beaucoup de ses écailles. Mais, fier de ses capacités forgées pendant plus de mille ans, il continua à se battre sans tenir compte de rien.

Enfin, dans un grondement qui fit trembler le ciel et la terre, la falaise escarpée s'ouvrit et il apparut une cassure de 30 lis de long, que plus tard on appela la "Gorge Cuokai" (mal ouverte). Fou de joie, le petit Dragon la tête haute, nagea vers le fleuve Yangzi.


Soudain, dans un bruit de tonnerre, trois Dragons blancs sortirent du centre du fleuve et se précipitèrent sur lui. Il crut que c'était des confrères qui venaient le féliciter et l'accueillir; mais les trois Dragons blancs hurlèrent d'une même voix :
- Au nom du vieux Dragon du fleuve Yangzi, nous sommes venus t'arrêter pour te juger. Ils s'approchèrent et l'entourèrent. Le petit Dragon, loin de se soumettre, poussa un hurlement de rage et alla à leur rencontre. Un combat violent mit aux prises les quatre Dragons à la surface du fleuve.

Voyant que le petit Dragon était tellement irascible, la Déesse se hâta de décrocher sa boucle d'oreille et de la jeter dans le ciel; celle-ci devint un cercle d'or, qui, avec la rapidité de l'éclair, s'abattit lourdement sur le dos du petit Dragon, ce qui permit aux trois Dragons blancs de l'entourer et de le saisir.
Le dieu de la Montagne lui passa une chaîne de fer autour du coup, le traîna sur une terrasse, et l'attacha à un pilier de pierre. La Déesse lui demanda:
- Pourquoi, au lieu de te diriger en direction de l'Est vers la mer, t'es-tu obstiné à battre le mont Wu?
C'est un jeune berger qui m'a dit d'aller dans cette direction! répondit-il.
L'Esprit tutélaire alla tout de suite chercher le jeune berger qui expliqua:
- J'ai indiqué l'Est avec ma faucille, mais avant que j'aie pu te donner plus d'explications, tu avais nagé vers le Nord. Comment peux-tu m'accuser?
- Bien que je me sois trompé de chemin, je n'ai rien à me reprocher.

La Déesse dit au dieu de la Montagne de le conduire sur un sommet, pour qu'il pût voir les calamités qu'il avait causées aux êtres humains. Voyant de ses propres yeux les champs et les villages inondés, il ne put s'empêcher de baisser la tête.

Les chauves-souris, la tortue et les singes vinrent tous l'accuser, et pour apaiser leur haine, la Déesse fut obligée de décapiter le petit Dragon malgré son repentir tardif.

Plus tard, on nomma le pilier de pierre sur lequel avait été attaché le petit Dragon, "Pilier à réprimer le Dragon" et la terrasse, "Terrasse à décapiter le Dragon". Maintenant, on peut encore voir ces vestiges près de la "Gorge Cuokai".

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