Le plus grand des dieux terrestres est le Grand
Empereur du Pic de l'Est, Dongyue Dadi, dieu du Taishan, la grande montagne du
Shandong. Dans les catalogues officiels, ainsi que dans les livres taoïstes, il
n'est pas isolé : il appartient à un groupe de divinités des montagnes, les
dieux des Cinq Pics, qui, depuis le début du XIe siècle, portent tous le titre
de Saints Empereurs, Shengdi ; il en est le premier, et les autres sont celui du
Pic du Midi, c'est à dire du Hengshan (dans Hengzhoufu, Hunan) ; celui du Pic de
l'Ouest, c'est à dire du Huashan (dans Tongzhoufu, Shenxi) ; celui du Pic du
Nord, c'est à dire du Hengshan (bien que ce nom paraisse identique à celui du
Pic du Midi, il est écrit en chinois par un caractère tout différent, et c'est
une autre montagne, située dans la préfecture de Datong, Shanxi) ; enfin celui
du Pic du Centre, c'est à dire du Songshan (dans Henanfu, Henan). Mais ce sont
là arrangements des lettrés et de religieux épris de symétrie — dès l'antiquité,
le seul culte réellement en honneur était celui du Pic de l'Est, de même que de
nos jours il est resté le seul vraiment populaire.
Le Grand Empereur du Pic de l'Est est
généralement considéré comme une sorte de régent de la terre et des hommes sous
l'autorité de l'Auguste de Jade. Mais son principal rôle est de présider à la
vie humaine ; c'est lui qui fixe la naissance et la mort, et il a des scribes
qui en tiennent registre.
Dans les premiers siècles de notre ère, il
était même devenu le dieu des morts : c'est de sa montagne que les âmes des
hommes partaient pour aller naître ; c'est à sa montagne qu'elles retournaient,
après la mort. On avait même localisé exactement le lieu où elles revenaient,
c'était la colline Hao li, au sud ouest de Taian, suivant d'autres, elles
partaient de cette colline, où elles recevaient leur destinée à leur naissance,
et revenaient après la mort à la colline Sheshen. Et ces idées ont laissé une
trace dans les croyances actuelles sur le monde infernal : un des dix rois qui
en gouvernent les dix sections porte encore le titre de Seigneur du Département
du Pic de l'Est, Taishan fujun ; mais ce titre, qui, au XIIe siècle, paraît
avoir réellement désigné le dieu de Taishan ne lui est plus rapporté de nos
jours, et personne aujourd'hui ne songe à considérer comme un seul personnage ce
petit dieu infernal et le Grand Empereur du Pic de l'Est. Ce n'est plus que chez
les poètes qu'on parle encore de lui comme présidant aux morts : la foi
populaire a fait de lui une divinité bien plus importante. Toutes les affaires
terrestres lui sont confiées par l'Auguste de Jade, qui s'en remet entièrement à
lui ; les enfers dépendent de lui à ce titre, mais ils ne sont qu'une partie de
sa vaste juridiction.
Aussi a t-il une immense administration sous
ses ordres. Une inscription du XIIIe siècle énumère soixante quinze bureaux qui
dépendent de lui ; son temple à Pékin, Dongyuemiao, en contient maintenant plus
de quatre vingts. En en parcourant la liste, on peut se rendre compte de la
variété des attributions de ce dieu. Il s'occupe de tout ce qui concerne la vie
sur terre, humaine et animale (il est d'ailleurs impossible qu'il en soit
autrement, puisque la naissance animale est un des châtiments des âmes
coupables, et que, si ces naissances ne dépendaient pas de lui, le dieu ne
pourrait pas suivre toute la carrière des âmes à travers leurs existences
successives), non seulement naissance et mort, mais encore destinée, fortune,
honneurs, postérité, etc. Aussi y a t il un bureau d'enregistrement des
naissances et un d'enregistrement des décès, un bureau des quatre sortes de
naissance (ou, à Pékin, quatre bureaux, un pour les naissances humaines, un pour
les naissances chez les quadrupèdes, un pour les naissances par un œuf, un pour
les naissances pour transformation), un bureau pour fixer la position sociale
élevée ou humble à la naissance, un autre pour distribuer la fortune, un autre
pour déterminer le nombre des enfants. Les actes bons et mauvais des hommes
occupent aussi une série de bureaux : bureaux des voleurs, de ceux qui
s'approprient injustement le bien d'autrui, des avortements, des
empoisonnements, des actes d'injustice, des mérites, de la piété filiale, du
loyalisme, de la mise en liberté d'êtres vivants, de la mise à mort d'êtres
vivants, de la lecture des livres saints, des actes qu'on cache à sa conscience,
etc. Il y en a d'autres qui sont chargés d'ajuster le destin accordé au moment
de la naissance avec les mérites et les démérites acquis au cours de
l'existence, bureau de rétribution des bonnes actions, de rétribution des
mauvaises actions, de prompte rétribution, d'allongement de la vie,
d'enregistrement des bonheurs, d'enregistrement des malheurs, de la diminution
du bonheur, etc. Cinq à six bureaux occupent spécialement des fonctionnaires
humains ; d'autres sont chargés des fonctionnaires divins, dieux des Murs et des
Fossés, dieux du Sol, dieux des Montagnes, etc. ; d'autres encore, des
religieux, bonzes ou daoshi. Il y en a pour les âmes abandonnées qui n'ont pas
de sacrifices ; il y en a pour les démons, pour ceux qui sont morts injustement,
pour les vengeances réclamées, pour les enfers ; certains bureaux sont chargés
d'envoyer diverses maladies. Enfin il y a des bureaux pour les faits naturels,
Département des Eaux, Pluie et Vent, Cinq Céréales, etc.
Pour l'énorme travail que représente la tenue
de ces registres, il faut un personnel immense : c'est parmi les âmes des morts
qu'il se recrute. Les inscriptions du XIIIe siècle que j'ai mentionnées donnent
le nom et le lieu d'origine (dans leur dernière existence terrestre) de tous les
directeurs de ces bureaux. Ces directeurs eux mêmes ont dans leurs services des
employés subalternes, scribes, teneurs de livres, etc. Quelquefois les morts n'y
suffisent pas, il faut prendre des vivants. Telle était la situation de Shen
Sengzhao, dévot taoïste du Ve siècle de notre ère. En général, il vivait comme
tout le monde, vaquant à ses occupations ordinaires ; mais, tous les trente
jours exactement, le soir venu, il se coiffait d'un bonnet jaune, revêtait un
costume grossier, et, après avoir fait quelques cérémonies dans sa chambre, il
remplissait les fonctions de secrétaire dans un des bureaux du Pic de l'Est, et,
quand il y avait quelque chose à enregistrer dans cette administration, il
devait y apposer son cachet. Il se trouvait ainsi au courant de bien des choses
surnaturelles, et il lui arrivait parfois de prédire aux gens des événements
heureux ou malheureux ; ses pronostics se réalisaient toujours. D'autre part,
les morts désignés pour un emploi n'ont pas toujours toute l'expérience
nécessaire, et il faut parfois les renvoyer chez les vivants pour faire une
sorte de stage. C'est ce qu'un certain Li Xuanzhi expliqua jadis à son frère
cadet en ces termes :
« Je suis un spectre et voici mon histoire.
J'ai été nommé teneur de livres du Pic de l'Est. Mon prédécesseur ayant été
promu à un rang plus élevé, le roi du Pic de l'Est voulut nommer quelqu'un pour
le remplacer, mais personne ne se trouvant suffisamment qualifié, il me fit
venir et me dit :
« Vos capacités vous rendent digne de ce
poste, mais vous avez trop peu étudié. Allez chez les hommes et instruisez vous
auprès de Bian Xiaoxian ; quand vos études seront achevées, vous reviendrez et
je vous nommerai. »
C'est de peur que les gens ne soient effrayés
de voir un spectre que j'ai pris la forme d'un homme vivant. En moins d'un an
mon instruction a été achevée, et j'occupe depuis deux ans le poste de teneur de
livres du Pic de l'Est. »
Le Grand Empereur du Pic de l'Est est
ordinairement figuré assis, en costume impérial ; ses statues sont aussi
impersonnelles que possible, et il se distingue peu de l'Auguste de Jade. En
fait, dans le peuple, on n'a guère, dans les maisons, d'images et encore moins
de statues d'un aussi grand personnage ; on se contente d'afficher sur les murs
son sceau ou des amulettes à son nom, ce qui suffit à écarter les mauvais
esprits.
Comme presque tous les dieux, il a une famille
; mais on ne connaît et adore réellement que sa fille, la Princesse des Nuages
Bigarrés, Bixia yuanjun, appelée souvent simplement la Dame du Taishan, Taishan
niangniang, qui est la protectrice des femmes, en concurrence avec son émule
bouddhique Guanyin (Avalokiteçvara), et aussi la patronne des renards, animaux
doués de facultés surnaturelles, capables de prendre, dans certaines conditions,
la forme humaine et de se mêler aux hommes.
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