Un lieu particulier de la maison, les cabinets
d'aisances, a sa divinité particulière : on l'appelle la Troisième Dame de la
Fosse d'Aisances, Kengsangu, ou plus simplement la Troisième Dame, Sangu, ou
encore la Dame Pourpre, Zigu, ou même la Septième Dame, Qigu, nom qui paraît
être une corruption du précédent, mais qu'on considère généralement comme une
fausse interprétation d'un autre mot, Qi, qui aurait été son nom de famille, la
Dame Qi. Elle était, de son vivant, vers la fin du VIIIe siècle, suivant la
légende la plus répandue, femme de second rang d'un sous préfet ; la femme
légitime, une certaine dame Cao, dans un accès de jalousie, la tua en la jetant
dans les fosses d'aisances le jour de la fête des Lanternes ; par la suite,
l'Empereur Céleste, ayant eu pitié d'elle, en fit la divinité de cet
endroit.
Les femmes et surtout les jeunes filles de la
maison lui font des offrandes dans les cabinets d'aisances le quinzième jour du
premier mois, jour anniversaire de sa mort. Elles en font une image grossière à
l'aide d'une grande louche à pot : le cuilleron sert de tête, et on y dessine
une figure humaine ; elles attachent au manche des baguettes de saule pour faire
le corps, puis elles l'habillent de quelques chiffons. Cela fait, elles brûlent
de l'encens et l'appellent en disant :
— Votre mari est absent ; la dame Cao est
partie ; petite Dame, vous pouvez sortir !
(Petite Dame est une expression polie pour
désigner une femme de second rang.) Si l'une des femmes présentes est un médium,
elle entre bientôt en transe ; on dit que la Dame est venue et on l'interroge
sur toutes sortes de sujets : récolte de l'année suivante, élevage des vers à
soie, mariages, etc.
Le culte de la Dame Pourpre est fort ancien ;
on peut en suivre la trace plus haut que l'époque des Tang ; et, dès cette
époque, les femmes la faisaient descendre le soir de la fête des Lanternes pour
lui demander la bonne aventure. On interrogeait aussi, au même mois et de la
même façon, la Dame Panier et la Dame Balai, qui étaient figurées par un vieux
panier et un vieux balai revêtus de chiffons.
Ces séances de spiritisme étaient très
répandues vers le XIe siècle dans les familles de lettrés de la cour des Song ;
on ne se contentait pas toujours de faire venir la Dame Pourpre au premier mois,
on l'appelait tout le long de l'année, et elle venait ordinairement sans se
faire prier. Quelquefois, c'était un autre esprit que celui de la Dame Pourpre
qui descendait, et les séances prenaient un caractère plus relevé.
Un écrivain du XIe siècle raconte que, vers
1035, comme les femmes et les filles d'un ami de son père faisaient ainsi «
descendre la Dame Pourpre », une des jeunes filles entra en transe, et l'esprit
qui s'empara d'elle déclara être l'une des femmes de l'Empereur Suprême,
Shangidi. Elle écrivit des compositions littéraires remarquables, qui furent
même publiées et beaucoup goûtées. Son écriture était d'une grande beauté, mais
d'un style tout différent de celui des calligraphes terrestres. Au cours des
séances, elle jouait du luth, elle chantait : voix et musique étaient d'un
charme prenant. Elle se montra même une fois, mais jusqu'à la ceinture
seulement, le bas du corps étant caché par une sorte de nuage. Les visites
cessèrent avec le mariage de la jeune fille.
Une autre légende, d'origine moderne, parle de
trois déesses, trois soeurs qui veillent ensemble sur le baquet à ordures de la
maison ; elle est assez répandue en certaines régions, ayant été popularisée par
le Roman de l'Investiture des Dieux (Fengshen yanyi) ; elle est née d'une fausse
interprétation du titre de Kengsangu, qui a été compris « les Trois Dames de la
Fosse d'Aisances ». D'autres légendes anciennes faisaient d'elle une fille du
mythique empereur Di Ku, ou même cet empereur en personne ; mais elles n'ont pas
prévalu et sont oubliées depuis longtemps, si même elles sont jamais sorties de
certains milieux de lettrés spirites des Ve et VIe siècles. Aujourd'hui cette
divinité est toujours féminine ; elle n'est en aucune façon un dieu du lieu ;
elle ne préside d'ailleurs pas au petit pavillon des latrines, mais strictement
au baquet à ordures lui-même.
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